L’image du ressac était en partie trompeuse. On peut bien jouer à se faire peur avec les vagues venant lécher le sable ; la prudence élémentaire convient de s’éloigner d’une houle de tempête. Et presque avant que le filin se tendît, Faure reçut de plein fouet la vague qui l’enveloppa. La sensation fut indescriptible. Plus tard, il comparerait cela à un échange de feedbacks. Mais sur le moment, il sentit simplement son esprit s’ouvrir, être lu, réécrit et lui être restitué. Le reste n’était pas retranscriptible par le langage commun. Et cela transfigura entièrement la forêt, comme si toutes ses facultés de perception avaient gagné en acuité. Par delà l’espace, il vit le passage dans le temps. Devant lui, les arbres et la végétation poussaient  à toute vitesse, même si le processus évoquait moins une floraison qu’une éruption de matière. Branches et fleurs se répandaient sous forme de fractales à la symétrie parfaite. D’autres floraisons ne pouvaient être conçues que sous la forme d’analogie. Il crut voir une petite chaise, si semblable à celle de ses enfants, exception faite de sa taille démesurée. Ailleurs l’évocation du bureau de son père, dans la demeure familiale, les rangées de livres bordéliques par accumulation. Il s’entendit gémir et grincer des dents, alors que les phénomènes se multipliaient, révélant une poésie mathématique d’autant plus difficile à réfuter qu’elle était objectivement incontestable. Il sentit son corps s’arcbouter, luttant contre le cordon qui le retenait. Un dernier éclair de lucidité lui fit comprendre qu’il allait lâcher à son tour pour rejoindre la forêt, et que ce n’était qu’une question de secondes avant qu’il dévissât la sécurité du mousqueton pour se libérer, et il se gifla plusieurs fois avec violence, les larmes lui montant aux yeux, la douleur faisant écran avec la réalité extérieure, et il s’agenouilla et prit son médipack individuel qu’il éventra avec précipitation pour récupérer des compresses hémostatiques et une bande velcro avec lesquels il se fit un masque sommaire pour soustraire son regard à de tels prodiges. Et sans plus attendre, il prit le filin à deux mains et se hissa en tâtonnant vers son point d’ancrage, sentant encore les ressacs battre à ses temps, comme s’ils avaient trouvé le rythme propre pour mettre tout son organisme en résonance.

Un pas après l’autre, un pas après l’autre… Mon Dieu, et dire qu’ils avaient soupçonnés les hommes d’avoir déserté…

La lumière vacille. Le fragment suivant commence dans l’ombre.

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