— Vous n’avez pas eu idée de quitter le camp pour chercher de l’aide ?

— Vous auriez voulu que je déserte ? s’indigna-t-elle, les larmes aux yeux. Vous me prenez pour qui ? Vous croyez que je suis un ou une de ces opportunistes qui se sont engagés dans l’armée pour échapper à la misère de Madagascar et qui s’enfuient au premier coup dur ? Mes valeurs sont identiques aux vôtres, Père Capitaine. Peut-être même supérieures. Il est bien plus difficile de garder la foi lorsque vous vivez dans les ténèbres, mais j’ai tenu bon. J’étais la dernière de ce camp, et j’y suis restée parce que j’étais la dernière sur qui on pouvait compter.

— Je ne vous accuse de rien, Lieutenant. Je cherche à comprendre. Je constate juste que cette unité a déserté au mépris de tous les règlements militaires.

— Mon Dieu, Père Capitaine, vous n’avez donc rien compris…  fit-elle d’une voix éteinte en laissant libre cours à ses larmes. Nos légionnaires n’ont pas déserté, ils ont disparu.

— Ne jouez pas sur les mots.

— Il ne s’agit pas de jouer sur les mots. Les médipacks fonctionnent encore. Avec eux, le suivi des données individuelles. Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que cela a un rapport avec le vivant. J’ai vu les fonctions vitales de ces hommes s’éteindre au fur et à mesure qu’ils se laissaient absorber par la forêt.

— Vous dites maintenant qu’ils sont morts ?

— Non. Ils sont devenus quelque chose d’autre. La forêt les a convertis.

Elle se tut et s’essuya les yeux rageusement. Faure comprit qu’il l’avait blessée. Il laissa retomber la tension quelques instants. Les réponses d’Andriana ne lui donnaient pas la moindre satisfaction, même si elle n’en esquivait aucune et répondait avec aplomb. Un vrai menteur serait resté vague en tout point, un affabulateur aurait déjà montré ses limites et un aliéné se serait montré beaucoup plus confus. Le récit d’Andriana était un véritable défi à la raison, d’autant plus irritant qu’il n’offrait pas de réelles failles.

— Bon… Qu’est ce qui se passe dans cette forêt selon vous ?

— Bonne question, Père Capitaine. Je pourrais bien partager mon point de vue, mais cela ne vous dirait pas ce qu’il se passe. Il va falloir que vous en fassiez l’expérience vous-même.

La nuit était maintenant tombée, noire et impénétrable. Un supplément de ténèbres huileuses que sa lampe frontale ne parvenait pas tout à fait à percer. La projection de lumière s’étouffait au bout de quelques mètres en un halo maladif. Incapable de se repérer dans le camp, Faure avait sollicité l’aide du sous-lieutenant.

— Tout ce que vous voulez, Père Capitaine. Mais étant là depuis plus longtemps que vous, je vous conseille de prendre du repos.

— Pourquoi donc ? avait rétorqué Faure. Les nuits font les mêmes durées partout, non ?

— Pour moi, oui. Pour vous, nouvel arrivant, non. Et il m’arrive encore d’être surprise.

Faure s’abstint de relever le paradoxe. Il était maintenant obnubilé par le sort de l’unité et, à la grande surprise d’Andriana, il dédaigna les mantes pour rassembler des indices sur la disparition des hommes.

— Comme vous l’avez si bien dit, le chef s’occupe de ses hommes. Montrez-moi les cantonnements s’il vous plaît.

Il alla de surprise en surprise. Andriana l’amena tout d’abord à l’armurerie. Le baraquement sentait encore les différents produits chimiques nécessaires à l’entretien des armes. Les exosquelettes étaient pendus en quinconce à des portants renforcés et, chose impensable, une pile de mitrailleuses légères SAW NM, étaient entreposés dans un coin, jetés les uns sur les autres avec négligence. Pour Faure c’était du jamais vu. Durant leurs classes, les instructeurs leur avaient appris à ne jamais se dessaisir de leur fusil. Jamais. Les aspirants devaient l’emmener avec eux, même aux feuillées. C’était un principe de base qui valait à l’oublieux une solide correction s’il y avait dérogé. Qu’un légionnaire se séparât de son arme était une impossibilité thématique ; plus que n’importe quel soldat, l’attachement au fusil lui avait été catéchisé. Sans un mot, Faure sortit de l’armurerie et se dirigea vers les tentes.

La lumière vacille. Le fragment suivant commence dans l’ombre.

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