La nuit tombait, et le camp s’assombrissait, l’obscurité à peine tranchée par quelques systèmes d’éclairage alimentés par des batteries solaires. Tous deux étaient assis autour du coin repas, une poignée de sièges disposés en cercle autour d’un ensemble de réchauds à induction. Faure la laissait terminer son récit insensé. Le contre interrogatoire suivrait, mais il ne voulait pas la brusquer.

— J’avais disposé plusieurs micros directionnels du côté de l’entrée du camp. C’est ce qui m’a permis de vous entendre venir. Je n’avais aucun moyen de savoir qui venait. En l’absence de reconnaissance ADN, et après tout le temps passé ici, un nouveau venu fait figure d’agresseur, pas de secours. Je m’excuse de vous avoir tiré dessus, Père Capitaine, mais je n’y croyais plus.

Faure hocha la tête et considéra l’immense fusil de précision, une Hécate XIII, calibre 12.7, équipée d’une antique optique à lentilles de cristal. Parfaitement silencieuse, tirant un projectile à 3000 mètres par seconde, elle était la fierté d’un atelier de production française, et la seule arme dont le Saint-Siège autorisait la production à sa province. Il ne parvenait pas encore à croire qu’il fût vivant après avoir essuyé un tir.

— Vous vous rendez bien compte que ce que vous me racontez est à proprement parler incroyable ? (Elle ne répondit pas.) J’aimerais que nous reprenions tout cela, s’il-vous-plaît.

— Très bien.

— Je vous demande simplement de répondre à mes questions.

Elle haussa les épaules, résignée.

— Faites comme bon vous semble.

— Et je vais devoir enregistrer.

— Je ne préfèrerai pas. Je vous laisse imaginer ce que le Saint-Siège pensera de mon témoignage.

Faure se garda bien de lui rappeler ce qui l’attendrait une fois de retour à Rome.

— Je crains que vous n’ayez pas le choix.

— Très bien, finissons-en, fit-elle en frissonnant de fatigue.

Il sortit sa tablette de son étui de protection, la démarra et, soulagé, vit qu’elle s’allumait, même si comme il l’avait prévu elle n’était pas connectée à la géosphère, et mit en route l’enregistrement vocal.

— Déclinez votre identité et votre mission.

— Je suis le sous-lieutenant Elizabeth Andriana, officier de renseignement. J’ai été affectée au soixante-sixième Régiment Etranger d’Infanterie, sous les ordres du lieutenant Mornar.

Un premier silence, qui s’éternisa. Cela risquait d’être long, pensa Faure, qui se sentit obligé de la relancer.

— Vous faisiez la liaison avec le Béhémoth ? Votre affection venait du général Baurel ?

Elle le dévisagea, perplexe, et répondit prudemment.

— De qui d’autre ?

Il laissa passer.

— Pourquoi portez-vous la dö-moru japonaise ?

— Beaucoup plus adaptée à la morphologie féminine, fit-elle aussitôt. Je précise qu’on m’y a autorisé.

Cela se tenait, même si cette liberté avait fait tiquer Faure. La TCE avait formé une alliance avec l’Empire Solaire et les accords binationaux autorisaient  quelques échanges parfaitement inoffensifs de fournitures militaires. Andriana n’était pas la première à privilégier le confort en Opex. Certains soldats cessaient de se raser et de se couper les cheveux, sans remontrance de leur hiérarchie. Du reste, elle portait l’écusson de la force Hyperborée, même s’il nota qu’il était effrangé et taché.

— Revenons sur la chronologie des événements. J’y vois une contradiction invraisemblable.

— Attendez de voir par vous-même, Père Capitaine, le coupa-t-elle lugubre avant de se reprendre. Je vous demande pardon…

— Restez concentrée s’il-vous-plaît. Et détaillez la chronologie.

— Vous l’avez dit vous-même, vous n’y croyez pas.

— Je veux votre version. Procédons méthodiquement. Appelons T 0, le moment où votre régiment et vous avez dressez le camp. Ensuite ?

— Un référentiel temporel… soupira-t-elle. Vanités de la science…

— Lieutenant, fit-il sévère.

La lumière vacille. Le fragment suivant commence dans l’ombre.

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