— Faure, sois assez gentil pour désactiver la subvocalisation. Cela me rappelle les pirates musicaux qu’on téléchargeait au lycée, du temps où certains chanteurs utilisaient… quoi déjà comme effet ?

— Autotune, dit Bari, la copilote, dont le nom s’afficha sur sa visière tactique.

— Comme quoi, tout n’était pas mieux avant, fit Rovin, le pilote, en décollant.

Faure se cramponna de toutes ses forces à son fauteuil. Réaction bien inutile, tous les petits aéronefs de la flotte militaire étaient équipés d’une capsule giratoire qui compensait les effets de tangage,  de roulis et de lacet.

— Moi, j’aimais bien…

— Ça doit être pour ça que tu es seulement copilote. Note bien, ça pourrait être pire : ton degré de popularité pourrait atteindre celui de notre collègue.

— Et il n’a même pas encore chanté…

Et les deux de s’esclaffer. Faure sourit, incapable de s’irriter de leurs railleries.

— Durée de vol estimée : une heure et demie. On filera nord, nord ouest. Pour te situer sur les cartes qui devraient s’afficher sur ta visière, l’ancien lac Kivu se trouvait plein ouest. Et nous allons nous poser derrière les ruines de l’ancienne ville Rubavu.

— Ça fait beaucoup de vestiges.

— Même pas. Kivu est totalement tari depuis maintenant vingt ans. Et il ne reste rien de Butare, pas même des ruines. Le lieu où tu es appelé, puisque je ne sais trop comment le qualifier autrement, se situe à la frontière du Rwanda et de la Zone de Partage Disputée de l’ex RDC.

— Des problèmes auxquels s’attendre de l’autre côté de la frontière ?

— Personne ne t’a briefé ? Tu as vraiment dû les mettre en rogne… fit Rovin encore hilare.

— Pas d’inquiétudes, Faure, dit Bari. La zone porte mal son nom, plus personne n’en veut et personne ne s’y aventure. Il s’agit d’une zone morte de bout en bout, sur laquelle traîne peut-être encore les fantômes des guerres bactériologiques et chimiques. Pas de bombes sales si tu te le demandais. Les rapports ont tous conclu qu’il n’y avait aucun risque sanitaire.

— Nous nous trouvons en plein cœur de l’Afrique, et celui-ci a cessé de battre. Putain de tragédie, ajouta Rovin sans réelle émotion. Ah ! De l’imprévu…

Une alarme retentit dans le cockpit, et le radar de menace de la visière de sphère abandonna son ordinaire configuration 2D pour une sphère à la base de laquelle montait à haute vélocité un point rouge.

— MANPAD, annonça Rovin.

— SATCP, traduisit Bari.

Soit Missile Sol Air à Très Courte Portée. La terreur des pilotes d’aéronefs en phase de décollage et d’atterrissage. Ayant connu peu d’évolution depuis le début du XXIème siècle, ces systèmes de défense aérienne sophistiqués fonçait à près de Mach 3 sur leur cible après l’avoir ferrée à l’infrarouge. L’un de ces missiles avait abattu l’avion transportant les présidents Rwandais et Burundais le six avril 1994, déclenchant le premier génocide. Personne n’avait encore fait la lumière sur l’origine de l’arme et les problèmes inhérents à la manipulation d’un système aussi sophistiqué.

— Trajectoire erratique. Il ne sait pas ce sur quoi se fixer, commenta Bari.

— Tranquillise-toi, Faure, alors que deux autres points rouges quittaient le sol. Nous ne produisons quasiment aucune signature thermique. Pareil pour la signature sonore, pas plus de bruit qu’un bruissement de plumes. Notre micro hibou porte bien son nom.

— Leurres largués, fit tranquillement la copilote. Projectile 1 neutralisé. 2 et 3 également neutralisés. Ordres ?

Rovin se concentra sur les directives qui émanaient de son casque.

— Une seconde… Le Béhémoth vient de se faire supplanter par Rome… Nous engageons, ordonna-t-il en tirant sur le manche.

— Avec Faure derrière nous ? s’étonna Bari.

— Précisément.

La terre devint le ciel. Faure ferma les yeux, tandis que la capsule giratoire rétablissait l’équilibre, permettant au pilote des manœuvres inouïes à haute vitesse.

La lumière vacille. Le fragment suivant commence dans l’ombre.

Fragment précédent
Fragment suivant

Le Cercle des Illuminés

Recevez chaque nouveau fragment directement dans votre sanctuaire électronique.

S'inscrire