Pas un mot ne fut échangé pendant le court trajet jusqu’à Rome. Le train à suspension électromagnétique les déposa en moins d’une heure aux Portes du Saint-Siège. Contrairement aux craintes de Faure, il lui fut permis de téléphoner brièvement à sa femme. Ce fut bref et empesé, pollué par la présence envahissante de l’aéropage accompagnant l’évêque. Il mit fin à la conversation, à la fois frustré de n’avoir pu toucher un mot à ses deux enfants et soulagé qu’on cessât de violer son intimité. Alors qu’il approchait de Rome, Faure remarqua que l’archevêque semblait se détendre peu à peu, allant jusqu’à échanger quelques insignifiances badines avec sa suite. Et lorsque le père capitaine fut déposé entre les mains de la garde prétorienne de Sa Sainteté à son arrivée en gare de Rome-Termini, le prélat se permit même un geste d’amabilité discret à son encontre. Puis les portes du train se refermèrent, laissant Faure seul avec la très austère force de dissuasion papale.

Les rumeurs étaient nombreuses sur ces hommes et femmes de l’ombre. Les gardes suisses évincés, suite à la tiédeur de la Suisse à intégrer sans réserve la Théocratie Catholique Européenne, Sa Sainteté le pape Augustin, premier du nom, avait réorganisé personnellement sa protection rapprochée. Etait née la garde prétorienne, dont on ne savait rien à propos de l’origine, du recrutement et de la formation de ses membres. D’aucuns prétendaient qu’ils n’étaient pas humains, mais des émanations très avancées de robotique et d’intelligence artificielle. Effectivement, Faure était prêt à admettre qu’ils n’avaient pas l’air humain, maintenant qu’il lui était donné de côtoyer de près ces huit soldats caparaçonnés dans leur armure intégrale chitineuse aux arêtes saillantes, dont les champs de force crépitaient sans cesse. Mais il fallait raison garder. Quelque fût le degré d’évolution technique des forces armées de la TCE, les systèmes d’armement létaux autonomes n’avaient pas encore atteint le stade où ils parviendraient à contrefaire l’humain. Accoutumé aux « mantes », Faure doutait d’ailleurs qu’on pût  miniaturiser davantage ces systèmes déjà incroyablement sophistiqués. La démarche des prétoriens était trop souple pour trahir un système bipode artificiel. En matière d’évolution, la station debout et les déplacements sur deux jambes constituaient un prodige avec lequel les grosses têtes de l’Institut de Recherche Catholique Inter Armées ne pouvaient encore rivaliser. Il ne pouvait toutefois réprimer un malaise profond chaque fois qu’il croisait les huit modules d’optique couvrant en totalité le visage des prétoriens, et il les suivit sans mot dire jusque dans une navette sécurisée de transport qui le déposa devant le palais Borghèse. Là un nouveau comité d’accueil l’attendait qui le laissa pantois. Pas moins d’une légion de prétoriens avait été déplacée, accompagnée de deux mantes dont la présence familière le rassura presque. Au milieu d’eux se tenait une femme de petite taille vêtue d’un uniforme noir mat, sous une chape prélatice en soie cramoisie. En descendant du véhicule les jambes tremblantes, Faure s’empressa de combler les quelques mètres le séparant de l’archonte polémarque et s’agenouilla pour embrasser l’anneau qu’elle lui tendait.

— Bienvenue Père Capitaine, je vous remercie au nom de Sa Sainteté de vous être libéré de vos obligations pour nous rejoindre.

— C’est un privilège de répondre à cette invitation, Votre Eminence.

— Soyez certain que nous garderons un œil sur vos proches le temps que durera votre mission. Vous pourrez accomplir notre œuvre en toute sérénité.

Faure hocha la tête, ne sachant quoi répondre. On n’avait jamais entendu dire que le pouvoir central s’inquiétait du sort de ses subordonnés, encore moins de leur famille.

— Je vous laisse entre les mains du général Ordin, avant que nous ne passions à table. J’ai hâte de m’entretenir avec vous.

— Avec joie, Votre Eminence.

Conformément à l’étiquette, Faure resta agenouillé, le regard baissé vers le sol, le temps qu’il fallut à la cardinale et à sa suite pour s’éloigner.

— Sacré bon dieu de merde ! Relevez-vous Faure.

Il obéit précipitamment et salua le numéro un de l’armée de terre française avec toute la déférence dont il était encore capable.

 

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