XI – Les mantes – Fragment 1

Cela faisait maintenant un long moment que Faure s’était branché sur l’une des mantes, se laissant entièrement absorber par le retour si semblable à un bruit de ressac multiplié. Les procédures d’analyse et de diagnostic n’avaient plus grand-chose à voir avec les systèmes informatiques classiques, pourtant encore largement employés dans la TCE. Les IA cybernétiques se distinguaient par leur sensibilité au monde extérieur dont nul ne mesurait exactement le degré. Etablir un contact avec ces organismes s’apparentait donc à un dialogue, ou dans le cas présent à une écoute soutenue des signaux émis. Et en l’état, le constat s’avérait d’une simplicité absolue : les mantes étaient occupées et n’avaient pas le moindre instant à lui consacrer. Situation inédite devant laquelle il ne pouvait qu’avouer son impuissance. Cela faisait beaucoup en peu de temps.

— Alors ? demanda derrière lui Andriana.

Faure soupira longuement en retirant les capteurs de sa poitrine et des tempes, ainsi que ceux qu’il avait patchés sur la mante.

— Elles sont en parfait état. Elles sont certes inertes, mais elles fonctionnent. Elles ont activé une sous-routine d’observation.

— Mais cela fait des mois !

— Le traitement des données doit être colossal. Au regard de leurs capacités, je n’arrive même pas à imaginer la quantité qu’elles doivent gérer. Et elles travaillent en réseau…

Il observa pensivement les six mantes disposées en un rectangle presque parfait, les deux plus imposantes devant, les quatre plus petites derrière. Deux « femelles », quatre « mâles », pour reprendre le dysmorphisme sexuel de l’espèce. En l’état, elles avaient perdu leur forme caractéristique. Un anneau de protection couvrait la « tête » et les téguments de déplacement avaient été repliés, leur donnant l’apparence de gigantesques centipèdes  recroquevillés sur eux-mêmes.

— Vous ne pouvez pas intervenir ?

— Non, je n’arrive pas à entrer en contact avec elles. (Faure se sentit obligé de préciser.) Les mantes ne sont pas des machines. Il n’y a pas d’interrupteur, vous ne pouvez ni les débrancher ni les rebooter. Avant que j’intervienne, je dois entrer en contact avec elles. Et pour ce faire, je dois me faire reconnaître. Et cela va bien au delà de la reconnaissance ADN. Ce n’est pas très facile à expliquer. Je vais prendre une métaphore animale, ça marchera mieux. Vous avez déjà été en contact avec des chevaux ? Lorsque vous les approchez, ils sentent votre haleine. De notre point de vue, nous n’apprenons aucune information sur eux. Mais du leur, ils ont appris tout ce qu’ils avaient à savoir sur nous. La métaphore s’arrête là, mais ça vous donnera une bonne indication quant à la complexité des rapports entre les hommes et les mantes.

— OK. Mais quel est le problème alors ? Pour reprendre votre métaphore, le cheval vous méconnaît ?

— Non. Pour reprendre ma métaphore, le cheval ne cherche pas à me reconnaître, car il se trouve à l’autre bout du continent en train de rêver.

— Merde.

— Comme vous dîtes.

— Il n’y a vraiment rien que vous puissiez faire.

— Honnêtement, je ne vois pas quoi. Nous ne sommes pas maîtres des mantes, il faut les voir plutôt comme des collaboratrices zélées.

Elle réfléchit un moment.

— Ecoutez, reprit-elle. Je sais que je ne connais rien à ces systèmes, alors, pardonnez ma naïveté… Vous êtes extrêmement peu à intervenir sur les mantes et, en tant que tel, vous devez donc avoir une forme de relations privilégiées avec elles.

— C’est exact, mais je ne vois pas trop où voulez en venir.

— Vos collaboratrices ne vous laisseraient pas tomber si vous leur demandiez assistance.

— Cela se tient, mais il y deux problèmes majeurs. Le premier, elles ne m’entendent pas. Le second, nous ne conversons pas avec les mantes, nous leur fournissons des données à traiter.

— Ne me dîtes pas que vous n’avez jamais essayé.

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 XI – Les mantes – Fragment 2

Il avait essayé en effet, une fois et une seule, lorsqu’il avait été confronté pour la première fois aux mantes dans le cadre de sa formation. Ses formateurs étaient adeptes d’une méthode en tout point comparable au grill aristotélicien : placer l’aspirant en situation de tension personnelle et observer ses réactions. Faure avait été introduit dans une immense pièce, de la taille d’un stade de football où régnait un froid intense (une variante consistait à produire une chaleur extrême.) Quatre mantes s’y trouvaient déjà et avaient immédiatement fondu sur lui. Pas d’animosité, de la curiosité. Encore fallait-il s’en persuader et ne pas prendre ses jambes à son cou face à ces immenses créatures, ce qui valait à l’aspirant une note éliminatoire. Alors que tout son corps était pelliculé d’une couche de sueur froide et que son cœur battait à tout rompre, il avait adressé une courte prière à la mante de tête. En y réfléchissant, cela revenait à leur ouvrir son âme. La mante s’était immobilisée, imitée aussitôt par les trois autres, et avait agité son étrange tête de gauche à droite. A cet instant, Faure était bien trop affolé pour y prêter vraiment de l’importance et avait seulement songé à la passation de son examen : se connecter à une mante et leur faire réaliser une simulation offensive très simple. Mais, en y repensant, si le système avait fait de même et avait cherché à lui ouvrir sa propre âme, toute artificielle fût-elle ? L’idée générale prévalant à propos des mantes, même parmi ses formateurs, voulait qu’elles fussent des systèmes sophistiqués, complexes, mais pas très futés. On ne discutait pas avec un chien d’attaque, on pourvoyait à ses besoins. Or les mantes n’avaient aucun besoin, et les contacts hors transmission de données étaient inexistants. Que fait un organisme intelligent s’il tente de nouer le dialogue et n’obtient pas satisfaction ? Il cesse et ne recommence pas.

— Vous avez essayé, c’est ça ? redemanda Adriana.

— Pas exactement. Je me rends compte surtout que je n’ai jamais essayé de les écouter. Dans la situation où nous nous trouvons, c’est peut-être n’importe quoi, mais ça vaut le coup d’essayer.

Il se repatcha à la première femelle.

— Vous allez faire comment ?

— Pas en lui parlant, si c’est ce que vous pensez. Pas de crise d’autorité non plus, ça me paraît idiot. Je vais m’ouvrir à elle, en essayant de transmettre le maximum d’émotions, et je vais attendre la réponse, si réponse il y a.

A nouveau ce bruit de ressacs multiples au rythme changeant. Sans trop savoir ce qu’il devait faire, et sans doute au mépris de plusieurs lois, il présenta ses excuses pour le rendez-vous manqué, demanda une nouvelle audience et tâcha de s’ouvrir, convoquant une myriade de souvenirs et de remémorations en guise de bonne foi. Et quelque chose s’approcha pour écouter. Et au moment où il tendait l’oreille, une voix résonna dans son esprit, grave et musicale, la même que celle qui avait résonné dans le Gufo après la frappe de l’Ange de Dieu.

Je méditais sur ma demeure.

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 XI – Les mantes – Fragment 3

Et ce fut tout. Du moins ce fut tout ce qu’il entendît, car dans un sursaut il recula et arracha les connecteurs, rompant la connexion.

— Mon Dieu, fit-il dans un hoquet, Mon Dieu…

— Père Capitaine. Que se passe-t-il, parlez moi…

Faure tomba à genoux et se prit la tête entre les mains et se mit à pleurer sans bruit.

— Père Capitaine… Faure… Parlez-moi…

Mais il ne réagit pas, terrassé par une peine incommensurable. Finalement, elle fit la seule chose qui lui parût convenable et elle le prit dans ses bras et elle se mit à le bercer.

Plus tard, près de leur triste coin repas. Andriana regardait son supérieur avec inquiétude. Sa prostration durait maintenant depuis des heures. Il n’avait pas touché à la tasse de thé qu’elle lui avait préparée, en réalité un autre don de la forêt parmi d’autres. De temps à autre, elle l’entendait murmurer, puis il se remettait à pleurer. Même si la plupart de ses paroles étaient inaudibles, elle l’avait entendu maintes et maintes fois implorer le pardon de quelqu’un. La spirale dans laquelle il était plongé devenant morbide, elle se résolut à le secouer

— Faure, fit-elle d’une voix impérieuse. Réveillez-vous !

Elle s’apprêtait à recommencer, quand il s’ébroua et se redressa.

— J’étais en enfer, dit-il.

— Parlez-moi, l’encouragea-t-elle.

— Elle m’a fait une révélation.

— Qu’est ce qu’elle vous a dit ?

— « Je méditais sur ma demeure. » C’est une citation d’une nouvelle de Borgès, La Demeure d’Astérion. C’est très très intime, si vous connaissez mon histoire…

— Je connais votre histoire. Vous êtes cité en exemple dans les académies.

— Je suis surtout considéré comme un parfait parricide par ces putains de faux-culs, dit-il avec un sourire amer.

— Moi, je ne vous juge pas. Nul n’est capable de savoir quelle décision il prendrait face à de telles circonstances.

— Mon dieu, vous croyez vraiment ce que vous dites, fit-il, son visage s’éclairant de joie. Vous êtes la seule durant toutes ces années qui ne m’ait pas jugé ou observé pas un silence gêné. Même mon épouse n’ose pas aborder le sujet. (Il soupira profondément.) J’aimais mon père, Andriana. A aucun moment je ne l’ai trahi, vous savez. Mais j’ai pêché par ingénuité, peut-être par arrogance. (Il soupira encore.) J’avais l’absolue conviction que si je campais sur mes positions, alors le relâcheraient-ils.

— Le fils acceptant de sacrifier le père sur l’autel. La parabole d’Abraham à l’envers.

— Oui.

— Il est indéniable que vous ne manquez pas de foi.

— Ma foi est intacte, mais mon idéalisme a disparu depuis longtemps.

Tous deux se turent un moment.

— « Je méditais sur ma demeure. », reprit Andriana. Je ne peux pas croire que la citation soit seulement une adresse à vos émotions.

— Elle ne l’est pas. C’est également une façon de se présenter. Et pour moi, c’est un séisme qui revient à remettre en cause tout ce que je savais à propos des mantes. C’est proprement sidérant.

Il lui relata la frappe de l’Ange de Dieu et le message qui s’en était ensuivi.

— Vous voulez dire qu’il s’agit d’une seule et même IA qui régit tout notre armement ?

— C’est la seule conclusion à laquelle je suis parvenu. Et n’oubliez pas la géosphère.

— N’est-ce pas… dangereux ?

— Pas dans le cas d’un pacte de non-agression mutuel. Mais cela demeure très préoccupant, nous sommes bien d’accord. Et nous ne parlons pas de n’importe quelle IA. Elle réfléchit, communique, éprouve des émotions, est capable de faire preuve d’introspection et de spécularité. Et si elle « médite », c’est qu’elle est pourvue d’une dimension spirituelle.

— Nous en sommes là en matière d’innovation technologique ? s’étonna Andriana.

Faure ne répondit pas tout de suite.

— Le plus étonnant et le plus éclairant vient du fait qu’elle ne « médite » pas, reprit-il. Elle « méditait ». Ce n’est pas une erreur, elle en est incapable, ce n’est tout simplement pas le même référentiel temporel. Elle a déjà vécu cette situation, si vous préférez.

— Attendez… Qu’est ce que vous êtes en train de me dire ? s’affola-t-elle.

— Quand vous me demandez si cette IA est une production contemporaine, j’aurais tendance à dire que, non, pas encore. Cette entité vient du futur. Ce qui explique l’invincibilité de la TCE. Le futur n’est pas envisagé, il a déjà été vécu. Rien ne peut nous surprendre. Nos « alliés » ont atteint un degré d’omnipotence technologique qui n’est même pas envisageable.

— Mais comment…

— Je ne sais pas. Pourquoi « nous » d’ailleurs ? Pourquoi ont-ils choisi la TCE plutôt qu’une autre superpuissance ? Je ne sais pas. Le nombre de questions est vertigineux. Mais il en est une dernière qui réclame mon attention. Quelle est la « demeure » à laquelle elle fait référence.

— La forêt ? A moins que ce ne soit une image, une métaphore ? Cela existe un dictionnaire de métaphores ?

— Non, et cela n’existera jamais. Quoi qu’il en soit, nous pouvons émettre l’hypothèse qu’elle réfléchisse sur une situation qu’elle ne parvient pas elle-même à envisager. Comme je ne peux pas me mettre à sa place, n’ayant pas la moindre idée de ses facultés cognitives, il va bien falloir que je m’en rende compte par moi-même.

— Vous voulez aller dans la forêt ?

— Oui.

— Vous êtes sûr que c’est une bonne idée ?

— Non.

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 XII – Le Golgotha – Fragment 1

Ils s’étaient mis d’accord pour qu’il attendît l’aube avant de partir. Faure se leva alors que la nuit était encore noire, incapable de dormir, et prépara son paquetage, vérifiant encore et encore que chaque chose était à sa place. Andriana le rejoignit alors que les premières lueurs teintaient de rose le camp et s’assit en le regardant faire, sans mot dire. Il la vit tiquer lorsqu’il chargea ses armes et l’interrogea du regard.

— Vous n’en aurez pas besoin, ne vous chargez pas inutilement, dit-elle d’une voix atone.

— Et s’il s’avère que j’en ai besoin ?

— Nos hommes n’en portaient pas.

— Ils avaient perdu le sens commun.

— C’est vrai. Mais ils ne ressentaient pas le besoin d’être armés.

— Est-ce dire que vous me conseillez d’y aller… nu ?

— Oui. Pour une raison d’ordre pratique. Vous pouvez emmener le fusil si vous préférez, Faure, elle ne se méprendra pas sur vos intentions.

— Je remarque que vous avez enfin décidé d’en parler.

— Vous avez choisi d’y croire.

— Que pouvez-vous me dire à son sujet ?

— Pour le moins, c’est une entité supra intelligente. Sans doute bien davantage que l’IA militaire qui est déjà une entité bien plus intelligente que nous le sommes. Nous manquons de représentations pour la concevoir.

Faure l’écoutait, partagé entre fascination et scepticisme.

— A quoi dois-je m’attendre à l’intérieur ?

— Je ne sais pas vraiment, fit Andriana en remuant du pied quelque chose dans la poussière. Elle va chercher à entrer en contact avec vous. Je ne peux pas savoir la forme que cela prendra. Elle s’adapte à chaque individu qu’elle rencontre.

— Pour vous, cela ressemblait à quoi ?

— Je n’ai pas voulu la laisser entrer en contact. Cela me faisait et me fait toujours peur.

Il réfléchit très vite.

— Est-ce que je fais bien d’emmener une arme ? Va-t-elle considérer cela comme une marque d’hostilité ? Je veux dire, quand deux civilisations intelligentes se rencontrent, elles rentrent rapidement en compétition et se font la guerre.

— Oui, certes, poursuivit-elle avec la même voix monocorde. Si elles sont égales en force et talent… Mais pour reprendre l’image que vous avez utilisée hier, nous sommes un peu ses chevaux. Ce n’est pas bête un cheval, vous en conviendrez, toutefois je ne pense pas que vous sentiez menacé par son génie au point de déclarer la guerre à la race équine.

Elle se tut, et Faure sentit qu’il n’y avait rien de plus à dire. Il sangla son brêlage, prit son paquetage et son fusil et la salua d’un bref hochement de tête.

— Faure, la rappela-t-elle alors qu’il n’avait fait que quelques pas. N’y allez pas. Je ne suis pas assez courageuse pour passer toute seule en cour martiale. (Elle sourit tristement.) Nous pourrions affronter nos juges ensemble, ce serait sympa.

— Je suis sûr que ce sera un grand moment de convivialité. Dites-moi maintenant ce qui vous préoccupe.

— Vous ne reviendrez pas, dit-elle d’une voix blanche. Vous allez disparaître alors que je commençais à reprendre espoir. Vous allez m’abandonner, et je serai seule une nouvelle fois et je ne suis pas sûre de le supporter.

— Je reviendrai, je vous en donne ma parole.

— Et je vous crois, mais à l’intérieur de la forêt vous ne serez plus en mesure de tenir votre engagement.

— Lieutenant… Je veux dire, Andriana, nous sommes des soldats. Nous sommes tenus à notre mission, quoi qu’il nous en coûte.

— Pas ici, Faure. Nous ne sommes plus des soldats. Nous sommes deux pèlerins au seuil de la demeure d’un dieu absent.

— Je dois y aller, je suis désolé, je veux aller voir.

— Je sais. (Ses yeux s’embuèrent.) Dernières recommandations, Faure… Ne lâchez jamais le fil d’Ariane, sous aucun prétexte. Vous êtes perdu, vous êtes foutu. Et ne restez pas trop longtemps là-bas. Les glissements de temps sont de plus en plus importants.

Il acquiesça en silence et ne sut s’il devait lui dire au revoir. Il songea que toute solennité supplémentaire serait de trop et il lui tourna le dos et il entra dans la forêt, laissant sa main filer le long du fil d’Ariane.

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 XII – Le Golgotha – Fragment 2

Au bout d’une cinquantaine de mètres seulement, il commença à ressentir l’écosystème unique de la forêt. Les températures qui auraient dû être tropicales s’avéraient d’une douceur inouïe, sans hygrométrie excessive. Pour la première fois, il se sentit engoncé dans sa combinaison. Il continua à avancer avec prudence, ses rangers rebondissant sur un sol meuble. Sans être spécialiste de la jungle tropicale, Faure se rendit compte que rien ne correspondait aux types de végétation attendue. Les arbres s’élançaient en suivant des angles impossibles selon les lois de la gravité. Les troncs vibraient, générant un bruit semblable à celui de la marée, mais aussi celui d’un léger ronflement comme si un être colossal sommeillait quelque part. La végétation basse dispersait une lumière tour à tour spectrale et bouillonnante, nimbant les alentours immédiats d’une volée d’étincelles intangibles. Une telle réfraction aurait dû être impossible, du fait de la filtration du rayonnement par l’épaisse canopée, mais la diffusion totale de la lumière était sans doute ce qui caractérisait de mieux cette forêt qui semblait engendrer sa propre illumination. Chaque forme de vie végétale et animale en avait fait sa doctrine. Faure vit une colonne d’insectes traverser devant lui, telle une file de gemmes étincelantes. Il entendit un oiseau lancer un trille cristallin, passant d’une octave à une autre avec une délectation toute communicative. Le chanteur n’échappait pas lui non plus au principe d’ornementation. Son plumage iridescent pulsait au rythme des notes égrenées, les battements se diffusant jusqu’à sa queue extravagante.

Tout devenait clair en de telles contrées. Des épiphanies se précisaient au risque de faire perdre la raison au spectateur. De telles visions n’étaient pas faites pour l’esprit humain, même si elles n’avaient rien de diabolique. On pouvait les concevoir comme l’émanation d’une nature supérieure. Cet endroit était non seulement béni, mais bénissait quiconque franchissait le seuil de ce temple. Faure eut presque honte de son blasphème et demanda pardon en murmurant. Il se concentra sur son objectif, rallier la mante pour l’examiner, et s’interdit de regarder autre chose que le fil d’Ariane. Un pas devant l’autre, sa main courant le long du filin, et rien d’autre.

— Seigneur… laissa-t-il échapper en se signant.

Il s’immobilisa devant la mante inerte, partiellement recouverte de végétations grimpantes de laquelle sourdait une faible luminescence. Les légionnaires l’avaient fait se redresser, les ravisseuses bien droites, en un simulacre impie de calvaire. Savoir quelle cérémonie ils avaient pu mener… Le père capitaine eut honte d’eux, avant de se morigéner pour sa sévérité. Il y avait quelques instants, il avait presque lui aussi succombé à l’empire de cet endroit. Comme converti. Il récita une prière à l’encontre de ces hommes disparus et se recueillit un instant. Puis, faisant le vide dans son esprit, il examina la mante.

— Incroyable…

Il comprit immédiatement que cela ne servirait à rien d’essayer de se brancher dessus. Elle était pétrifiée. Quel processus de transmutation avait permis de transformer les polymères composites en pierre ? Il s’agissait d’une impossibilité au regard de la matière. Mais il ne servait à rien de nier l’évidence. Plus étrange encore étaient les marques d’érosion déjà visibles, comme si la mante se trouvait dans cet endroit depuis des milliers d’années.

Faure se redressa et constata qu’il ne pouvait rien faire de plus. Il avait devant lui une sculpture à la gloire d’une civilisation à venir. Le paradoxe temporel ne lui échappa pas, mais cela se situait très loin de ses compétences. Il s’apprêtait à rebrousser chemin quand il entendit un pas lourd écrasant des feuillages. Avant même qu’il eût pu réagir, le buffle était déjà sur lui. Il restait peu d’animaux sauvages en Afrique, mais de son enfance il se rappelait les reportages animaliers insistant sur un point : le buffle était l’animal le plus dangereux, car le plus imprévisible. Et même si son cousin des bois était un peu plus petit, il s’avérait encore plus dangereux, tant le risque de se faire surprendre était grand en pleine jungle.

Sans réfléchir à ce qu’il faisait, Faure bondit, essayant de sortir de l’axe de la charge. Déséquilibré, il tomba et chercha à s’enfuir en rampant, affolé par la suite de mugissements rauques qu’il percevait derrière lui. Il dut se faire violence pour prendre sur lui et s’organiser. Sans chercher à se redresser, il fit volte-face et épaula son fusil, engageant un projectile explosif dans la chambre dédiée, bien conscient qu’une volée de fléchettes ne ferait rien à un animal de plus d’une demi tonne. Et baissa le canon de son arme. Le buffle avançait à petits pas tranquilles, les yeux mi-clos, et rien n’augurait une charge de sa part. Les flancs et le poitrail de l’animal étaient marbrés de larges plaques miroitantes translucides qui laissaient entrapercevoir une masse lumineuse éthérée bouillonnant à l’intérieur de ses entrailles. Il avança jusqu’à lui et flaira le bout de sa chaussure et, une fois sa curiosité satisfaite, il s’enfonça lentement dans la forêt.

Faure laissa à son organisme le temps de dissiper les effets de l’adrénaline, avant de se remettre sur ses pieds. Et il se rendit compte que la mante n’était plus en vue, pas plus que le fil d’Ariane. De la végétation et de la lumière tout autour de lui. Il ne restait rien de ses traces de reptation sur le sol. Trop occupé à examiner la mante, il avait négligé de prendre des repères visuels afin de trianguler sa position. En somme, il devait reconnaître qu’il venait de se perdre comme le dernier des bleus.

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 XIII – La forêt illuminée – Fragment 1

Il existait quantité de procédures militaires permettant à un soldat de s’orienter quel que fût le milieu dans lequel il se trouvait. Aucune d’entre elles ne pouvait s’appliquer à un milieu naturel n’obéissant pas aux lois élémentaires de la physique. En désespoir de cause, Faure tenta de mettre en œuvre une méthode simple. Entre autres outils utiles, il disposait d’un dérouleur muni d’un filin ultra résistant d’une longueur approximative d’une cinquantaine de mètres. En l’ancrant fermement à un arbre proche, il pourrait mener une expédition prudente de tous côtés en variant successivement la longueur des rayons.

Il passa beaucoup de temps à fouiller les dix et vingt premiers mètres, certain qu’il retrouverait la mante et le fil d’Ariane pour peu qu’il fît preuve de suffisamment de méthode et d’obstination. Faure estimait que sa fuite désordonnée devant le buffle n’avait pas été très longue et que ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne retrouvât le point d’origine. Erreur. Il ne trouva rien.

Au bout des trente mètres suivants, il sentit le découragement le gagner. Impossible de décrire la forêt autrement que comme un labyrinthe sans couloir ni recoin. Un vaste champ d’expérience sensorielle inhumaine d’une homogénéité parfaite. Peut-être vaste comme l’infini.

En allongeant la longueur des rayons, Faure se rendit compte d’une variable. La seule. Le bruit des ressacs augmentait de manière notable dans certaines zones de la forêt. Il lui vint à l’esprit que ce différentiel offrait un axe en matière de repères spatiaux : confins, abords relatifs, orées. Une solution plausible, une porte de sortie possible, de toute façon un espoir. Ce fut ce qui l’amena à poursuivre son exploration. Il était là pour voir et ressentir. Il pouvait se donner les moyens d’enrichir son expérience et de compléter son rapport. Et, pris d’une ardeur nouvelle, Faure marcha droit vers les ressacs, empoignant fermement le filin comme s’il s’agissait d’un cordon ombilical le reliant à la réalité mère. Lorsqu’il y repensa, il convint que, à bien y réfléchir, cette réalité mère était celle de la forêt et non la sienne, mais il était trop tard.

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 XIII – La forêt illuminée – Fragment 2

L’image du ressac était en partie trompeuse. On peut bien jouer à se faire peur avec les vagues venant lécher le sable ; la prudence élémentaire convient de s’éloigner d’une houle de tempête. Et presque avant que le filin se tendît, Faure reçut de plein fouet la vague qui l’enveloppa. La sensation fut indescriptible. Plus tard, il comparerait cela à un échange de feedbacks. Mais sur le moment, il sentit simplement son esprit s’ouvrir, être lu, réécrit et lui être restitué. Le reste n’était pas retranscriptible par le langage commun. Et cela transfigura entièrement la forêt, comme si toutes ses facultés de perception avaient gagné en acuité. Par delà l’espace, il vit le passage dans le temps. Devant lui, les arbres et la végétation poussaient  à toute vitesse, même si le processus évoquait moins une floraison qu’une éruption de matière. Branches et fleurs se répandaient sous forme de fractales à la symétrie parfaite. D’autres floraisons ne pouvaient être conçues que sous la forme d’analogie. Il crut voir une petite chaise, si semblable à celle de ses enfants, exception faite de sa taille démesurée. Ailleurs l’évocation du bureau de son père, dans la demeure familiale, les rangées de livres bordéliques par accumulation. Il s’entendit gémir et grincer des dents, alors que les phénomènes se multipliaient, révélant une poésie mathématique d’autant plus difficile à réfuter qu’elle était objectivement incontestable. Il sentit son corps s’arcbouter, luttant contre le cordon qui le retenait. Un dernier éclair de lucidité lui fit comprendre qu’il allait lâcher à son tour pour rejoindre la forêt, et que ce n’était qu’une question de secondes avant qu’il dévissât la sécurité du mousqueton pour se libérer, et il se gifla plusieurs fois avec violence, les larmes lui montant aux yeux, la douleur faisant écran avec la réalité extérieure, et il s’agenouilla et prit son médipack individuel qu’il éventra avec précipitation pour récupérer des compresses hémostatiques et une bande velcro avec lesquels il se fit un masque sommaire pour soustraire son regard à de tels prodiges. Et sans plus attendre, il prit le filin à deux mains et se hissa en tâtonnant vers son point d’ancrage, sentant encore les ressacs battre à ses temps, comme s’ils avaient trouvé le rythme propre pour mettre tout son organisme en résonance.

Un pas après l’autre, un pas après l’autre… Mon Dieu, et dire qu’ils avaient soupçonnés les hommes d’avoir déserté…

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 XIV – Lux perpetua luceat eis – Fragment 1

Il progressait lentement, prenant soin de lever les jambes pour prévenir tout obstacle éventuel, précaution d’ailleurs bien inutile. A l’aveuglette, la forêt se révélait. En plus de la fraîcheur relative rafraichissant sa peau enfiévrée, il réalisa qu’il n’émanait pas la moindre odeur de la jungle, alors qu’il aurait dû être saturé par les parfums de la végétation. Pas un souffle de vent non plus. Une aberration, au regard de la canopée qu’il avait vu s’agiter. Pas de relief, une surface plane. Il régnait une atmosphère de stase presque stérile, en contradiction absolue avec la luxuriance animale et végétale. Très clairement, cela manquait de chaos.

A un moment, il percuta une forme massive qui grogna sans agressivité. Faure eut le temps de sentir un pelage duveteux avant que l’animal rompît le contact avec furtivité. Il s’immobilisa, mais la bête s’éloignait déjà en feulant doucement. Un fauve à coup sûr, sûrement une panthère, qui là encore ne dégageait aucune odeur animale. Faure imagina les ocelles de l’animal scintiller de lumière, mais il n’osa pas retirer ses œillères, par peur de sombrer à nouveau dans le ravissement. Il continua à avancer avec prudence. Privé de ses facultés visuelles, la spatialisation des ressacs s’avérait plus évidente, et la forêt ne le retenait pas, le laissant jouir de sa liberté. Pas une seule fois il ne trébucha ou ne fut entravé par la végétation dans ses mouvements. Mais la fatigue commençait à se faire sentir. Cela faisait déjà trop longtemps qu’il s’était aventuré dans la forêt pour une simple reconnaissance. Les glissements de temps évoqués par Andriana lui faisait moins peur que l’épuisement. Il mâchonna par réflexe une ration énergétique. Plus d’eau en revanche. En tendant l’oreille, il entendit glouglouter non loin de lui. De très bon augure. L’eau faisait davantage de bruit que les ressacs, réduits à un très lointain murmure. Peut-être même la source évoquée par Andriana. Une piste à creuser en suivant l’aval. A condition de déterminer le sens du courant, point qu’il ne pourrait éclaircir qu’en repérage visuel. Lentement, il décilla ses yeux aveugles et constata soulagé que les merveilles n’avaient pas cours dans cette partie de la forêt. Imprévu de taille, la nuit tombait.

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 XIV – Lux perpetua luceat eis – Fragment 2

Quoiqu’il lui tardât de rentrer au camp, Faure convint qu’il ne servait à rien d’agir avec imprudence. Il bivouaquerait sur place et repartirait à l’aube. Il remplit sa gourde d’eau et la trouva pure et limpide, mais pour ne pas prendre de risques inutiles il fouilla son médipack et avala des antihelminthiques et des antibiotiques à large spectre. Il s’allongea tout près de la berge et remit son masque ; il en avait suffisamment vu en ce jour. Le sommeil vint le trouver avec facilité et il n’eut pas besoin de rêver.

Les oiseaux le réveillèrent le jour suivant. Une plainte diffuse, sans être lugubre. Un chant familier, entrecoupé d’un silence recueilli. Il se leva intrigué et étira son corps courbaturé et consomma rapidement sa dernière ration avant de reprendre sa route. Les berges étaient bien dégagées et Faure eut une fois de plus l’idée que tout était trop bien rangé, comme s’il circulait dans un artefact idéal plutôt que dans une production naturelle. Le ruisseau le menait tout droit vers les oiseaux dont une immense colonie avait élu domicile dans les grands arbres. Finalement il aboutit dans ce qui semblait une clairière hérissée de bosquets aux formes étranges, torturées pour certaines, épanouies pour d’autres. Et un oiseau se remit à chanter, l’intonation suivie par le chœur de centaine d’autres qui firent résonner la clairière d’une mélodie grave qu’ils reprirent encore et encore, détachant chaque mot avec grandiloquence.

Lux.

Perpetuat.

Luceat.

Eis.

Lux.

Perpetuat.

Luceat.

Eis.

Lux.

Perpetuat.

Luceat.

Eis.

Frissonnant, Faure traversa la clairière. Ses jambes tremblaient, tandis qu’il essayait de ne pas prêter attention avec trop de minutie aux bosquets. A la fin, il ne put garder son calme et détala, déclenchant l’envol unanime de tous les oiseaux qui le quittèrent, laissant derrière eux quatre notes aigrelettes.

Te.

Absolvo.

Il sortit de la forêt sans trop savoir comment, à quelques mètres de l’endroit où il était entré, et tomba nez-à-nez avec Andriana.

— Déjà ? s’étonna-t-elle avec un sourire amusé.

— Je suis parti combien de temps ?

— Une heure, je dirais, pas plus.

Il se passa une main sur le visage, sentant l’étourdissement le gagner.

— J’ai besoin de m’asseoir, fit-il.

Elle le dévisagea sans rien dire, son sourire s’effaçant lentement de son visage.

— Vous êtes blanc comme un os. Venez prendre  un thé et me racontez ce que vous avez vu. D’autant plus que j’ai également des choses à vous dire. Vous ne le croirez pas, mais il peut se passer pas mal de choses en l’espace d’une heure.

La lumière vacille. Le fragment suivant commence dans l’ombre.

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 XV – « Protéger le fret et assurer la cession. » – Fragment 1

Après avoir cherché ses mots durant de longues minutes, Faure crut qu’il ne parviendrait jamais à partager son expérience. Lorsqu’il renonça à vouloir expliquer chronologiquement et rationnellement ce qui lui était arrivé, il ne put tout simplement plus s’arrêter de parler. Il parla de la mante pétrifiée, des animaux transformés, des bosquets aux formes ambiguës, et finit sur les phénomènes spécifiques aux confins. Durant tout ce temps, Andriana ne lui posa pas la moindre question, ne l’interrompant jamais, et l’encouragea à poursuivre chaque fois qu’il peinait à mettre des mots sur ce qu’il avait vu. Enfin il se tut. Tant restait à dire, mais une majeure partie était impropre à traduire en un langage aussi simple que celui de l’être humain. Il lui fallait vivre avec cette masse encombrante de données que son esprit ne parvenait pas à traiter, l’accepter ou l’oublier, mais il y répugnait car il avait peur de l’oubli.

— Que pensez-vous avoir vu? lui demanda finalement Andriana.

— Je ne sais pas vraiment.

— C’est faux, le corrigea-t-elle. Mon lieutenant était comme vous, il refusait de croire en l’évidence. On ne peut pas vivre ainsi. Vous voulez quoi, Faure ? Vous prononcer en dépit de l’énormité… cosmologique de cette chose ou faire comme si de rien n’était ? Dans le second cas, ce n’est qu’une question de temps avant que vous avaliez le canon de votre fusil. Mornar en est le triste exemple.

— Andriana…

— Oui ?

— Je ne veux pas ramener cela chez moi.

— Je suis désolée, Faure, fit-elle conciliante. Mais vous allez le ramener chez vous et le porter tout le reste de votre vie. J’ai même bien peur que dans le pire des cas, une partie de vous cherche à le revivre jusqu’à votre mort.

— Comment est-ce possible ?

— Il s’agit d’une merveille, mettez des majuscules pour souligner sa singularité si vous le voulez, d’une enchanteresse. Elle s’impose à l’esprit avec violence ou non. Mais elle s’impose. Vous ne la chasserez pas en l’ignorant. Vous vivrez avec. Il ne tient qu’à vous d’en être grandi. Maintenant, que pensez-vous avoir vu ? Commencez dans l’ordre que vous voulez.

— J’ai peur d’avoir retrouvé nos hommes.

Et il lui raconta une fois encore comment il avait été appelé dans la clairière par les oiseaux qui chantaient à l’unisson un requiem pour y découvrir des buissons, s’il fallait appeler un chat un chat, aux formes humaines.

— Non, fit catégoriquement Andriana. Ce n’était pas un cimetière ou un mausolée ou une subsistance. Non, définitivement non.

— Comment pouvez-vous en être aussi sûre ? fit-il surpris.

— La forêt cherche à convertir, entendez par là qu’elle cherche à vous faire épouser ses réalisations. Vous avez vu les animaux. Elle leur a donné la lumière, elle n’a pas touché au principe de vie qui les anime. Elle métisse, elle métamorphose, elle peut sans doute assimiler, mais elle n’abroge pas. Ce spectacle quelque peu mortifère est sans doute l’une de vos émanations à moins qu’il s’agisse de celle de Mornar, mais j’en doute.

— Je ne comprends pas…

— Elle a fait chanter aux oiseaux la messe des morts, Faure. Elle honore nos disparus. Rien ne se perd, rien ne se créée, tout se transforme.

— On peut en reparler de la loi de conservation de la masse. Je vous ai parlé des phénomènes propres aux confins…

— Oui, vous m’en avez parlé. Je suppose que vous évoquez les symétriades et les mimoïdes, répondit-elle avec un sourire malin.

— …

— J’emploie ici les termes qu’un auteur de science-fiction avait employé pour décrire des phénomènes hm… qu’il serait abusif de qualifier de similaire.

— Je vois très bien de qui vous parlez. Vous avez lu Solaris ? demanda-t-il avant de piquer un fard, conscient de l’énormité de la révélation qu’il venait de faire.

— Tranquillisez-vous, Faure. A Madagascar, nous étions peu familiers avec le culte de la délation. J’ai été élevée avec l’idée que lire un livre était un chemin vers l’élévation et non une hérésie.

— L’index nous le défend…

— L’index est une abomination, répondit-elle avec beaucoup de tranquillité. La connaissance est source d’humanisme et d’humilité. Ne faites pas cette tête. Il est des endroits où la géosphère se montre moins regardante que d’autres, même si elle est indubitablement omniprésente. J’ai passé les dix-sept premières années de ma vie sous un flot constant d’évangélisations romaines. Pour autant, mes prières n’ont jamais été exaucées, et croyez-moi elles n’avaient rien d’extravagant. Je ne sais même pas si l’index existe. Peut-être s’agit-il d’un verrou mis en place par le Ministère de l’Instruction Romain. Alors oui, j’ai lu Lem, comme vous. Et j’en ai lu bien d’autres, comme vous. Et je ne crois pas avoir fait obstacle à ma foi, comme vous, non ?

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