IV – Survol de l’enfer selon Bosch – Fragment 2

Faure ne lui fit pas remarquer qu’il confondait le roman de Conrad et le film des temps sombres qui s’en était inspiré. Il écouta le reste de la tirade de Jouvet d’une oreille distraite. Chaque champ d’opération était porteur d’anecdotes semblables. On finissait par se blinder contre le luxe d’exactions perpétrées par le genre humain.

— Mon film de guerre préféré, c’est La Ligne Rouge, même si je ne suis pas très rousseauiste.

— Hm… franchement édulcoré par rapport au roman originel, si tu veux mon avis.

— Je ne veux pas de ton avis, c’est mon film préféré et je ne supporte pas qu’on en dise du mal. Histoire d’argumenter, je dirai simplement qu’il n’est pas du tout édulcoré, mais qu’il s’agit d’un parti pris d’adaptation… Bon, tu peux me dire ce qu’on fout dans ce pays ?

— Je me suis déjà exprimé sur le sujet.

— Cela n’explique pas tout. Il n’y a pas une seule chose qui puisse nous intéresser depuis que nous n’avons plus besoin de minerais et d’énergies fossiles.

— « Les desseins de Sa Sainteté sont impénétrables. » C’est de toi, non ?

Une légère secousse leur apprit que le Cestino venait de se poser. Alors que tous se levaient pour se préparer à débarquer, une annonce retentit.

— Mesdames et Messieurs, c’est votre pilote qui vous parle. Je vous annonce que nous allons devoir patienter pour régulation jusqu’au petit matin. La tour de contrôle m’annonce une forte probabilité de présence de mines bondissantes  sur le tarmac, heureuse gratification des populations autochtones. Nous avons déjà disposé les champs de force pour votre plus grand confort et vous suggérons de casser une petite graine, si tant est que vous ayez emmené votre panier repas, le service à bord n’étant pas assuré. Merci de votre compréhension et bienvenue au Rwanda.

Un chœur de protestations accueillit l’annonce, puis les soldats se rassirent, résignés, et s’apprêtèrent à se faire à manger, sortant leur réchaud à induction.

— Jouvet, dis-moi que tu as pensé à ramener des rations.

— Si tu aimes manger lyophilisé…

— Pas moyen, j’ai envie de faire un dernier repas correct. Je vois que la nana des forces spéciales a une conserve de pasta à la saucisse épicée, et j’aime bien la ‘nduja.

— La réquisition risque de mal passer.

— J’ai un peu d’éducation, je pensais la lui acheter. Si tu voulais faire la liaison, ajouta Faure en lui tendant une pièce de cinq francs romains. Et si tu pouvais t’assurer qu’elle ne crache pas dedans, je t’en saurai infiniment gré…

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 V – L’appel de la sorcière – Fragment 1

Les blindés vinrent les chercher à l’aube. Faure et Jouvet se quittèrent chaleureusement, son camarade réitérant les conseils de prudence. Le père capitaine prit congé du reste des passagers avec une politesse toute formelle qui lui fut bien rendue. Il fut accueilli sur le tarmac par l’aide de camp du général Baurel, un lieutenant colonel croate du nom de Tovac qui, faisant fi des grades l’incita à le considérer comme son égal et à le tutoyer. Le blindé remonta vers l’est à la grande surprise de Faure qui vit s’éloigner derrière lui l’aéroport.

— Pas d’inquiétude, anticipa Tovac. Nous voulons d’abord faire passer les démineurs, c’est ainsi tous les matins par précaution de sécurité. En dépit des champs de force, quelques mines bondissantes mobiles parviennent toujours à déjouer le périmètre de sécurité.

— S’ils déjouent notre vigilance, c’est que le matériel doit être suffisamment sophistiqué. Qui les leur fournit ?

— Compliqué. La majorité des mines proviennent de la Coopération Autocratique Latine. Mais celle-ci n’a aucun intérêt africain. Il s’agit de stocks ayant peut-être changé de main quatre à six fois, le prix augmentant au fur et à mesure. Toutes proportions gardées, on peut faire le parallèle avec ce narcotique des temps sombres qui connaissait autant de succès, la cocaïne. Je dis bien toutes proportions gardées, car les volumes sont ridicules. Rien n’a changé, le procédé reste toujours le même. Les mines permettent de boucler une zone plus ou moins étendue. Nous n’avons rien à craindre, les visières tactiques des casques lourds les détectent et brouillent leur système de verrouillage sur cible. En revanche, pour les populations civiles, c’est un carnage sans fin. Si l’individu ne meurt pas de ses blessures, la septicémie lui sera fatale.

— Pas de structure médicale ?

— Si, bien sûr, les nôtres. Encore faut-il avoir fait allégeance à la Théocratie et produire un bulletin de baptême séculier. Nous sommes intransigeants sur ce point.

Depuis la disparition des ONG, accusées d’ingérence à l’unanimité des grandes puissances, certains pays avaient connu des désastres sanitaires sans précédent. Dans sa grande majorité, le continent africain ressemblait à un malade en phase terminale, accablé par toutes les infections opportunistes. Butare était un triste exemple parmi d’autres. Plus d’administration compétente, plus d’infrastructure en état de marche, plus un bâtiment en dur qui ne fût pas sur le point de s’effondrer, les fondations sapées par les combats incessants, plus d’eau courante, de l’électricité intermittente, pas un logement qui ne fût pas en tôle.

— Ils tiennent sous notre perfusion. Quand nous serons partis, il ne restera rien de ce pays, à l’instar des autres.

— Rapport sanitaire ?

— C’est là que ça devient intéressant. Outre les ordinaires épidémies de choléra et une famine maintenant impossible à contenir, nous avons à nous réjouir d’une recrudescence de cas de peste pulmonaire. Les FAR ont tenté de cacher l’ampleur du problème, mais nous avons intercepté les communications. Il ne se passe pas grand-chose sur cette planète qui nous échappe, Dieu bénisse la géosphère.

— Attends… Seuls les FAR sont impactés ?

— Peu ou prou. Nos dispensaires n’ont pas été informés de cas de contamination autre. Nous ne parlons pas d’un phénomène très marqué, mais cela les ralentit significativement. Tout pendant qu’ils achètent des antibiotiques, ils n’achètent pas d’armes. Et les antibiotiques sont chers… Non, nous n’avons pas relevé d’utilisations d’armes bactériologiques. Si tu me demandes mon avis, je n’hésiterai pas à parler d’une intervention divine. Les populations autochtones partagent cette idée, elles évoqueront des déités telluriques impies. Habitue-toi, Faure… Ici, tu es un chrétien en terre païenne. La flamme que tu entretiens brille dans les ténèbres. Tu sais, j’ai fait le séminaire, tout comme toi, bien qu’avec beaucoup moins de succès. Je me suis penché en ethnologue amateur sur leurs cultes primitifs.

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 V – L’appel de la sorcière – Fragment 2

— Rien de réjouissant… C’est un salmigondis de superstitions et de rites barbares. Colifichets, amulettes, cérémonies sanglantes… Zéro pensée spirituelle. Il n’y a pas même une littérature de légendes et de mythes digne de ce nom. Ah si… L’ancien séminariste que tu es sera tout de même intéressé par une étonnante tradition.

Faure entendit un projectile rebondir sur le blindé, puis un autre, puis le bruit devint régulier, comme si une averse de grêle tombait sur le véhicule. Tovac ne releva pas de prime abord, puis sourit.

— Tu travailles dans la cité des Papes, si je ne me trompe pas ? Tu dois avoir l’habitude d’un bruit de fond en été, non ? Ce que tu entends, ce sont les cigales rwandaises, Faure. Nous ne sommes pas très populaires.

— On se fait allumer par qui ? fit Faure en surveillant les écrans de contrôle du blindé.

— Qui sait ? FPR vs FAR est une vision simpliste. Le pays s’embrase et, comme de juste, de nombreux petits chefs de guerre se sont empressés de mettre de l’huile sur le feu. Pas sûr qu’ils soient affiliés à l’un ou l’autre des deux partis. C’est là où l’expression « guerre asymétrique » prend tous son sens. Relax, Faure… Nous ne craignons rien. S’ils veulent gâcher des munitions, grand bien leur fasse. Nous n’allons pas réagir pour une escarmouche puérile.

— C’est fou ce qu’on me dit de prendre les choses à la légère depuis que j’ai posé les pieds au Rwanda…

— C’est ce qu’il y de mieux à faire. Les services de sécurité sont sur les dents. Les plus sages d’entre nous sont les officiers de renseignement. Le traitement des données collectées est une tâche délicate qui réclame la plus grande prudence. L’homme blanc en Afrique… OK, nous étions plutôt bons en matière de diplomatie ; maintenant, faute d’interlocuteurs dignes de confiance…

— Très bien, je passe l’éponge sur les « cigales. » Pas D’EEI à craindre ?

— Pas en zone urbaine. Et la quasi totalité de nos déplacements se font par voie aérienne. Les EEI sont archaïques, nous n’avons plus rien à en craindre. Nos ennemis sont les premiers à reconnaître leur inefficacité.

— Et les risques d’embuscade ?

Tovac éclata de rire.

— Trois de tes favorites nous escortent Faure. Mode furtif. Elles s’accommodent des chamailleries, pas davantage. Il y a une semaine un groupe de miliciens nous a bloqués. Tu vois le tableau… Deux pick-ups devant, trois derrière. Bon… Vu ce qu’il restait des véhicules après un tir nourri aux fléchettes antipersonnelles, on leur a facilité le broyage. Et les blessés ont été achevés par les mantes elles-mêmes.

— Je vois très bien le tableau : un spectacle édifiant.

— Précisément. Nous ne sommes pas populaires et nous ne sommes pas là pour travailler notre popularité. Le temps des donations généreuses est révolu. Hyperborée n’est pas une mission humanitaire. Nous servons les desseins de Sa Sainteté, quels qu’ils soient.

Les impacts se firent sporadiques et cessèrent tout à fait. Le blindé continua à progresser dans les artères encombrées, forçant le passage et obligeant les rares véhicules à se ranger précipitamment. Faure jeta un coup d’œil à sa montre et calcula que cela faisait plus d’un quart d’heure qu’ils roulaient.

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 V – L’appel de la sorcière – Fragment 3

— Le Behemoth ne reste jamais au même endroit, question de sécurité, fit Tovac. Quadriller la ville permet de scinder les ententes territoriales et de multiplier les opérations de renseignement.

Faure hocha la tête. La sollicitude dont faisait preuve à son égard l’aide de camp lui parut soudainement suspecte. Sans lui dérouler le tapis rouge, il se montrait  d’une prévention touchant presque à l’obséquiosité. Tout semblait fait pour ne pas lui laisser le moindre espace de liberté et l’inciter à uniformiser sa façon de penser. Craignaient-ils qu’il allât cafter leurs agissements à l’archonte Bilget ? Probablement. Faure était prêt à parier que les soutes du Behemoth devaient disposer d’un complexe de salles d’interrogatoire spéciales et que les rapports de mission étaient loin d’être exhaustifs, si tant est qu’il y en avait. Il laissa Tovac babiller tout son soûl, opinant du chef de temps à autre, et se concentra sur les écrans de contrôle du blindé. Exception faite de quelques regards hostiles au passage du véhicule, chacun vaquait à ces occupations, comme si le pays n’était pas déchiré par une énième guerre fratricide. Les commerçants itinérants vendaient leurs produits, pour la plupart issus du marché noir, et nombreux étaient les acheteurs à repartir les mains vides après avoir âprement marchandé. Les murs encore debout étaient couverts de messages incompréhensibles en kinyarwanda dont la graphie témoignait d’une haine inextinguible ; d’autres, en anglais, s’adressaient directement à l’occupant européen en termes peu amènes. Plus loin, son regard fut attiré par un étrange dessin réalisé en rouge et blanc qui évoquait une forme serpentine sommaire. La réalisation, sans être bâclée, attestait une précipitation, comme si son exécutant forçait la légitimité de ce qui était admis dans ce pays. Faure vit un dessin identique quelques centaines de mètres plus loin, puis un autre.

— Des vévés, fit Tovac. Avant que la grêle ne commence à tomber, c’est de ça dont je voulais te parler.

— Des « vévés » ?

— Des symboles cabalistiques. Compliqué à expliquer. En gros, c’est une marque d’allégeance à Mami Wata, une sorcière. C’est un culte tout à fait marginal, presque exclusivement féminin. Il fait l’objet d’une discrimination sévère en dépit de la tradition. J’ai entendu parler de camps de concentration où les adeptes étaient enfermées. Elles sont accusées, entre autres maux tous plus fantasques les uns que les autres, d’être des mangeuses d’âmes…

— « Camp de concentration », vraiment ?

— On sait tous les deux ce qu’il en est.

— Une constante, ce sont toujours les femmes qui trinquent.

— Deux fois plus, au minimum.

— Je n’en avais pas entendu parler. Quelle est la position de Sa Sainteté ?

— Il s’y intéresse en ethnologue et nous a demandé de faire notre possible pour limiter les persécutions. Concrètement, on ne fait rien du tout. Les moyens nous manquent et il ne s’agit pas d’une mission prioritaire. Dis-toi bien que tu ne pourras pas sauver tout le monde, Faure.

Mais il n’écoutait plus, le regard rivé sur l’écran. Alors que le blindé s’engageait dans une avenue, il vit une fillette d’une dizaine d’années, craies en main, jetant nerveusement des coups d’œil autour d’elle, tandis qu’elle réalisait avec hâte un nouveau vévé. Cette fois, elle joua de malchance, et un homme l’interpella violemment. Un attroupement se forma presque aussitôt autour d’elle, et les coups commencèrent à pleuvoir sur l’enfant. Faure avait déjà vécu pareille situation en opex. La dernière fois, en stricte infériorité numérique, lui et les deux hommes qui l’accompagnaient avaient dû assister à un lynchage sans qu’il leur fût donné de s’interposer. Conscient de commettre une imprudence injustifiable, il déverrouilla la porte arrière du blindé et sauta, ignorant les alarmes qui se mirent aussitôt à retentir. Courant vers l’attroupement, il maudit sa précipitation qui l’avait conduit à laisser son casque lourd et le fusil. Incapable d’en imposer sérieusement à la foule en colère, il devait faire vite pour exfiltrer la fillette sans se faire blesser. Quelques coups de feu tirés en l’air clairsema la foule, ce qui lui laissa le temps de se frayer un chemin à travers les émeutiers et d’agripper la petite qui saignait déjà du nez et de la bouche. Faisant rempart de son corps, il leur hurla de reculer, braquant successivement les visages haineux, repoussant encore le moment où il devrait faire feu. Mais la foule grossissante était impossible à contenir, et il se retrouva bientôt dos au mur, prêt à subir à son tour sa colère, et les premières pierres commencèrent à s’écraser autour de lui. Il perçut un éclair métallique sur sa gauche, une machette levée, et tira sans réfléchir, provoquant une brève reculade avant qu’une pierre de la taille d’un œuf s’écrasât au dessus de son œil droit, manquant l’assommer. Derrière lui, la fillette glapissait de terreur, réalisant que son sauveur ne lui serait d’aucune aide. Puis, alors qu’ils allaient se faire submerger par le nombre, un sifflement lancinant se fit entendre, augmentant en intensité jusqu’à devenir intolérable. Réagissant instinctivement, les émeutiers se bouchèrent les oreilles, d’autres levèrent les mains en signe de reddition. Résistant à ce que lui dictait son organisme, Faure entraîna la fillette au sol et la força à s’aplatir, procédure standard en cas de pulsations soniques. Et une mante se matérialisa autour d’eux, comme si elle émergeait du néant.

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 V – L’appel de la sorcière – Fragment 4

La furtivité était le propre de ces systèmes d’armements létaux autonomes, destinés à surprendre et à anéantir l’ennemi. Leur châssis était couvert de chromatophores, chacun contenant un pigment différent, et des nanocristaux réfléchissaient les longueurs d’onde. Sans être totalement invisible, une mante en mode furtif n’offrait qu’un léger miroitement à l’œil nu, ce qui constituait déjà un prodige pour une structure de plus de quatre mètres cinquante de long.

Immédiatement elle se redressa, surplombant la foule de sa forme insectoïde comme un totem cauchemardesque, et déploya ses ailes pourvues de stroboscopes tactiques, déclenchant une rafale de flashs aveuglants pour figer l’émeute. Faisant jouer ses capteurs d’ADN, elle repéra Faure et tailla toutes ceux et celles attroupés autour du militaire avec ses pattes ravisseuses, semblables à deux immenses faux. Des hurlements retentirent et la foule tenta de fuir. Ce fut alors que les deux autres mantes entrèrent en action. Les procédures d’acquisition de cibles furent établies en quelques microsecondes, et les canons de 30 millimètres se mirent à crépiter. Le père capitaine imagina la scène plus qu’il n’y assista. Dès lors que les mantes engageaient le fer, elles neutralisaient tout individu sur un théâtre d’opération dont l’ADN n’était pas rentré dans leur base de données. Ces systèmes étaient la réponse ultime à toute forme de guérilla urbaine. Alors que l’armée française avait été si frileuse à se doter de drones, elle avait inscrit sans réserve les mantes dans sa doctrine. Facile à comprendre. Les mantes n’étaient pas un avantage tactique, mais une entreprise de domination mondiale.

Quelques instants plus tard, les canons se turent. Quelques cris de souffrance se faisaient entendre par intermittence, puis un silence de mort tomba, alors que les mantes cliquetaient rapidement sur leurs pattes métalliques pour achever les blessés. Faure fut relevé sans ménagement par deux légionnaires, visiblement furieux. Il ne pouvait pas leur donner tort. Si un homme sous ses ordres s’était mis dans une telle situation, il aurait ordonné de le mettre aux arrêts. Mais lorsqu’ils firent mine de le séparer de la fillette, il se rebiffa. Il n’était pas question qu’il la lâchât et, terrorisée, elle se blottit tout contre lui. Hésitant à utiliser la force, les légionnaires consultèrent du regard le lieutenant-colonel Tovac qui se dirigeait vers eux. Faure comprit que c’en était fini de leur belle complicité.

— Laissez cette gamine, Capitaine, et remontez dans le blindé sans faire d’histoires. Je ne dis pas que je passerai l’éponge, mais ne vous avisez de me foutre en rogne…

Faure considéra ses options. Il n’en avait pas beaucoup.

— Avec tout le respect que je vous dois, je refuse, Mon Colonel.

— Attendez… on ne parle pas la même langue ? Vous ne comprenez pas un ordre direct ? Je répète : laissez cette gamine et remontez dans le blindé avant que je ne vous fasse menotter.

— Et moi, je vous répète que, si j’ai parfaitement compris votre ordre, je refuse de laisser cette enfant. Je suis père capitaine. Et il est de mon devoir de prêtrise de porter assistance à ceux qui en ont besoin.

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 V – L’appel de la sorcière – Fragment 5

Tovac se tourna maintenant goguenard vers les deux légionnaires bien embarrassés.

— Putain, il est extraordinaire. Que croit-il ? Qu’on ne connaît pas son histoire ? Vous avez vendu votre père, Père Capitaine. Vous voulez quoi ? Vous racheter une vertu ?

Faure dut prendre sur lui pour ne pas réagir à la provocation. Si la fillette n’avait pas continué à s’accrocher à lui avec l’énergie du désespoir, il aurait sans doute frappé le lieutenant-colonel.

— Dites rien, ça vaut sans doute mieux, poursuivit Tovac. (Aux légionnaires.) Menottez-moi ce connard…

Les deux soldats échangèrent un regard désolé avec Faure, l’un d’eux haussant discrètement les épaules. Rien de personnel, nous risquerions bien pire que vous en désobéissant. Antienne connue. L’arrestation ne posait pas de problème à Faure. L’Etat-Major de l’opération d’Hyperborée ne pourrait rien contre lui sans en référer d’abord à Rome. Mais il ne voulait pas être séparé de l’enfant. Une fois Faure aux arrêts, Tovac abandonnerait la fillette à la rue, et l’idée lui était insupportable.

Très doucement, comme pour ménager leur supérieur, les deux légionnaires avancèrent vers lui. L’enfant, comprenant qu’elle allait perdre son protecteur, laissa échapper une plainte déchirante. Contre toute attente, une ombre immense s’interposa entre eux dans un cliquetis métallique. Simultanément, les deux autres vinrent la rejoindre, encadrant les deux soldats. Rien n’indiquait une procédure d’engagement. Les ailes avaient été repliées sur chacun des systèmes, et les canons étaient en position de sécurité. Seules les ravisseuses s’agitaient pensivement, comme un boxeur en position de garde souple.

— Faure ! C’est vous qui êtes responsable…

— Non, là, je ne les contrôle pas.

Le père capitaine aurait dû se réjouir des tremolos perceptibles dans la voix de Tovac, mais tout en lui tentait de donner un sens à ce qui était en train de se dérouler. Jamais à sa connaissance, les mantes n’avaient essayé de s’ingérer dans une situation amie, même si celle-ci s’avérait tendue.

— On arrête cette mascarade de suite. Saisissez-vous de lui.

Beaucoup moins assurés, les légionnaires esquissèrent un mouvement. Faure entendit une brève stridulation subvocalisée, comme si elle ne s’adressait qu’à lui seul. Et la mante tourna gracieusement sa minuscule tête vers lui. L’un de ses yeux rouges s’éteignit et se ralluma en un signe très perturbant de connivence entre la machine et l’homme. Puis elle disparut en miroitant, les deux autres faisant de même. Tout se passa alors très vite. Il serra la petite fort contre lui et se figea sur place. Tout autour d’eux deux, un chatoiement de formes indistinctes crissait sur le macadam, décrivant une ellipse qui s’élargissait. Un légionnaire poussa un cri rauque et tomba par terre, l’autre tenta de reculer avec précipitation et alla rouler plusieurs mètres en arrière. Tovac perdit toute dignité et se réfugia dans le blindé, essayant de refermer le hayon sans y parvenir. La peur qui déformait son visage composait un masque presque comique. Puis la manœuvre prit fin aussi subitement qu’elle avait commencé. Les légionnaires se relevèrent, plus apeurés que groggys. Faure se doutait qu’ils avaient tout juste été effleurés, sans quoi ils seraient tout aussi morts que le reste des émeutiers. Deux mantes se tenaient maintenant devant eux, la dernière derrière, triangle isocèle parfait dont lui et la fillette était le centre. Faure entendit la fillette murmurer.

— Qu’est-ce que tu as dit ?

Elle parlait si bas qu’il dut la faire répéter une troisième fois, avant de comprendre qu’elle s’adressait à lui en français.

— Il faut que tout cela prenne fin maintenant.

— De quoi parles-tu ?

Elle ne répondit pas, le dévisagea avec une intensité extraordinaire pour son âge, et lui fit signe de se pencher.

— Ne faîtes pas confiance aux Illuminés, Mon Père… chuchota-t-elle à son oreille.

Puis sans un mot de plus, elle cessa de l’étreindre, passa entre les deux mantes, contourna les légionnaires stupéfaits et monta dans le blindé. Faure la suivit et alla s’asseoir à côté d’elle. Il évita très soigneusement de croiser le regard de Tovac, soucieux de ne pas humilier davantage un homme défait.

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 VI – Le Béhémoth – Fragment 1

Faure patientait depuis maintenant une heure dans une minuscule pièce nue. Armes, casque lourd et tablette lui avaient été confisqués à son arrivée au Béhémoth. Le QG de l’armée française avait été surnommé ainsi en raison de son aspect colossal, et les officiers supérieurs étaient les premiers à faire courir des rumeurs sur des rituels magiques protégeant le bâtiment afin d’impressionner les populations crédules. Ses concepteurs en avaient fait bien plus qu’un gigantesque blindé surarmé. L’analogie avec l’animal mythique avait été renforcé par un double poste de direction et un système de déplacement quadripode dont l’allure ressemblait beaucoup aux éléphants, même si l’espèce était maintenant disparue et demeurait un lointain souvenir. Mastodonte bicéphale aux pattes interminables, le Béhémoth en imposait à l’imagination. De l’avis de Faure, pareil bâtiment relevait davantage de l’incongruité. Bien qu’autonome, comme toutes les productions modernes guerrières du Saint-Siège, le gros QG était effroyablement lent, incapable de dépasser les cinquante kilomètres par heure. Les déplacements par voie fluviale et maritime étaient facilités par son caractère amphibie, mais pour l’acheminer sur le théâtre des opérations, il fallait recourir à deux monumentaux gros porteurs Cestino X.

De plus en plus impatient, le père capitaine soupira et étira ses membres ankylosés. La pièce dans laquelle il se trouvait était une cellule opérationnelle standard non aménagée, sans hublot et insonorisée. Rien à voir avec les cages de détention qui interdisaient toute posture confortable et qui finissaient par causer d’effroyables dommages articulaires. Il s’agissait donc d’un traitement de faveur, en dépit de la taille minuscule de la cellule. Appréciable si on avait le tempérament d’un sous-marinier.

Enfin le sas s’ouvrit, et un personnel administratif l’invita à le suivre. Il lui fit même grâce d’un sourire, au grand étonnement de Faure. Si l’on n’avait pas cru bon de le faire escorter par la police militaire, son affaire s’avérait plus informelle que prévue. Avec une amabilité presque exagérée, un secrétaire le fit entrer dans le bureau du général Baurel, une pièce dix fois plus grande que celle où on l’avait fait attendre, un véritable luxe dans une perspective utilitaire de confinement.

Le général ne prit pas la peine de lui rendre son salut, pas plus qu’il ne l’invitât à s’asseoir. Faure s’y attendait. Baurel était un général à l’ancienne, grand, encore large d’épaules, plus magnétique que charismatique. Il était l’idée même de ce qu’on se faisait d’un officier supérieur, et Faure pensa qu’il avait sans doute été choisi pour son caractère… pittoresque. Le père capitaine ne tarda pas à découvrir que Baurel était en plus le prototype même du gueulard.

— Vous savez ce que je suis en train de faire, Faure.

— Non, Mon Général.

— Mon courrier, je suis en train de faire mon putain de courrier. Et vous savez pourquoi ?

— Non, Mon Général.

— Pour la bonne et simple raison que je n’ai plus d’aide de camp, celui-ci venant de prendre un aller simple et définitif pour Rome, répondit Baurel, sa voix enflant démesurément.

Faure digéra l’information et sentit une once de culpabilité l’envahir. Pas très longtemps.

— Une minute après que vous êtes arrivés au Behemoth, un détachement de prétoriens a procédé à l’arrestation du lieutenant-colonel Tovac. Je ne savais même pas qu’il y en avait dans le coin… Histoire d’équilibrer la donne, croyez-bien que j’ai établi un rapport immédiat des événements de ce matin et demandé que vous soyez rapatrié séance tenante. Mais Rome vous a dans ses petits papiers. Le Saint-Siège a accusé réception de ma demande et vous transmet ses chaleureuses félicitations pour votre humanisme. Croyez-bien que j’ai protesté. Le retour a été plutôt rapide. A la fin de la mission, je suis invité à Rome. Oh, j’échapperai aux Bolges. Mais je suis certain de passer un bon mois en résidence surveillée pour m’apprendre la discipline. M’apprendre la discipline ? A moi putain ! Je suis général trois étoiles ! Qu’est-ce qui vous a pris Faure ! Vous croyez qu’Hyperborée est une opération où on peut se la jouer chevalier blanc ?

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 VI – Le Béhémoth – Fragment 2

— Mon Général, ma fille a à peu près l’âge de l’enfant qui s’apprêtait à se faire lyncher.

— Et alors, bordel ? hurla Baurel. Vous connaissez le nombre de gamins qui se font massacrer quotidiennement dans ce pays ? Je croyais pourtant qu’on vous avait mis au parfum ? Non, non, non… Ne me faites pas le coup de l’œil humide… Je suis là depuis trop longtemps, j’en ai trop vu. Vous savez ce que font les FAR pour se foutre de nous ? Ils nous envoient les vidéos de leurs carnages. Outils agricoles et caméras 3D HD en holo. Quoi qu’en disent les bas du front, on ne s’habitue jamais à voir un gamin dépecé à la machette. Vous avez sauvé une fillette ? Il y en a des milliers d’autres qui vous attendent.

— Mon Général, j’étais à même d’agir.

— Je n’ose même pas songer à la réaction du Saint-Siège si vous aviez été seulement blessé et mis dans l’incapacité de réaliser votre mission.

— C’est fort peu probable, Mon Général. Les mantes veillaient sur moi.

— Vous vous croyez invulnérable ? Bravo ! C’est le meilleur moyen pour se faire tuer. En attendant, j’hérite d’un connard dans votre genre, comme si l’armée française en manquait, et je perds mon aide de camp.

— Avec tout mon respect, le lieutenant-colonel aurait mieux fait de tenir sa langue.

— Je vous demande pardon, Faure, persifla le général d’une voix doucereuse. Vous êtes en train de médire d’un supérieur ?

— Non, Mon Général. Je constate que le lieutenant-colonel s’est rendu coupable d’hérésie. Tout le monde me considère comme un parricide et j’assume mes décisions passées. Mais Rome ne supportera pas qu’on ironise sur mon ministère.

Baurel le dévisagea ahuri.

— Les mantes sont des émetteurs-récepteurs permanents de la géosphère. Leur IA est assez subtile pour relever un ton de voix. Rien ne leur échappe.

Cette fois, le général eut un mouvement de recul machinal.

— Même à l’intérieur du Béhémoth ? fit-il incrédule.

— Je n’ai pas de raison que son IA soit très différente de celle des mantes.

— Putain de merde. (Il se rembrunit, visiblement contrarié.) Je ne suis même pas maître de mon propre bâtiment… Et vous êtes là, tranquillement devant moi… Vous êtes quoi, vous ? Un de ces transhumanistes avec un supplément d’âme ?

— C’est ma formation, Mon Général.

— Et vous allez me dire que c’est normal que vos outils agressent mes hommes ?

— Non, Mon Général. Leur réaction m’est incompréhensible.

— Je croyais pourtant que vous connaissiez ces machines mieux que quiconque.

— La complexité de l’IA des mantes est le secret le mieux gardé de Rome. Je n’ai jamais rencontré leur concepteur. A titre personnel, je pense que leur IA est d’une richesse inouïe.

Troublé, Faure repensa à l’étrange clin d’œil dont l’avait gratifié la mante qui s’était interposée la première entre les légionnaires et lui. Transhumanisme avec supplément d’âme. Un silence s’installa, durant lequel Baurel ne cessa de grommeler.

— Vous partez immédiatement, Père Capitaine, dit-il soudainement. Un Gufo vous amènera sur zone aussi près que possible, mais vous devrez baguenauder dans la brousse. Seul et sans escorte, ordre de Rome.  Un de mes hommes vous briefera dans l’avion sur ce qu’on sait. Autant dire quasiment rien. Et vous vous démerderez avec.

— A vos ordres, Mon Général.

— Rompez maintenant.

Faure s’agita mal à l’aise.

— Quoi encore ?

— Mon Général, j’aurai aimé avoir des nouvelles de la fillette.

Baurel le fit mariner une longue minute.

— Elle va bien. Rome a demandé à la prendre en charge. C’est une bonne nouvelle pour elle, Faure. Elle recevra une bonne éducation sitôt qu’elle sera baptisée. Rome prend grand soin de ses pupilles. Je ne sais pas si elle a des parents, mais vous rencontrer a été la meilleure chose de sa courte vie.

— Je vous remercie, Mon Général.

— Rassuré ? Foutez-moi le camp maintenant. Et au retour de votre mission, dispensez-vous de venir me saluer.

Le père capitaine salua et s’apprêtait à sortir quand Baurel le rappela.

— Faure, ne me prenez pas pour un connard sans cœur. J’ai moi aussi une fille. Elle a vingt-huit ans. Je ne sais même pas où elle se trouve. Elle ne me parle plus depuis des années.

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 VII – Pas plus qu’un bruissement de plumes – Fragment 1

Faure était à peine sorti du bureau qu’il fut pris en charge par un seconde classe. Ils montèrent en silence par les minuscules ascenseurs menant au pont d’envol du Behemoth, et juste avant de parvenir à l’air libre, firent une pause dans les cales d’appontement.

— Je vais vous remettre tout le matériel dont vous avez besoin, Mon Capitaine. Une fois sur zone, l’hélico ne se posera qu’un court instant par mesure de sécurité. Vous serez alors entièrement autonome.

Faure hocha la tête et écarta bras et jambes, tandis que le soldat commençait à fixer sur lui le système de portage et de déplacement rapide. L’exosquelette, très souple et peu encombrant, assurait une vitesse comparable à celle d’un trotteur de course. Divers modules disposés aux points d’articulation de la structure activaient au besoin une bulle temporaire de confinement furtif, ainsi qu’une absence de signature thermique. Le dispositif ne permettait pas de tromper les nez électroniques ou les rares chiens encore utilisés, mais assurait la possibilité d’une retraite prudente en cas très hypothétique de détection. Il s’agissait d’une dotation standard à destination des éclaireurs et des tireurs d’élite qui l’enrichissaient souvent de l’antique costume ghillie. Enfin le soldat déposa sur sa tête le casque lourd  qui se déploya sur l’intégralité de son visage. Immédiatement, la visière blindée afficha l’ensemble des informations tactiques disponibles, une accumulation de données souvent préjudiciables à analyser en plein combat et que chacun pouvait heureusement personnaliser. Faure réduit l’interface à sa simple expression, radar de menace et vue « naturelle » sans vision augmentée ni optique d’agrandissement. Après avoir récupéré couteau, pistolet et fusil d’assaut, il remercia le seconde classe en subvocalisation et monta une passerelle pour gagner le pont d’envol.

Là l’attendait l’un des modèles les plus compacts de la flotte des aéronefs de reconnaissance et d’attaque, le Gufo I, que les pilotes italiens surnommait « Locusta », mais que les pilotes français avait appelé « Fennec » en raison de l’affection de leurs ainés pour un antique modèle des temps sombres apprécié pour sa robustesse et sa fiabilité. Dédaignant la vue panoramique de Butare, Faure monta dans l’aéronef et se sangla au fauteuil, après avoir salué les deux capitaines, respectivement pilote et copilote, composant l’équipage.

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 VII – Pas plus qu’un bruissement de plumes – Fragment 2

— Faure, sois assez gentil pour désactiver la subvocalisation. Cela me rappelle les pirates musicaux qu’on téléchargeait au lycée, du temps où certains chanteurs utilisaient… quoi déjà comme effet ?

— Autotune, dit Bari, la copilote, dont le nom s’afficha sur sa visière tactique.

— Comme quoi, tout n’était pas mieux avant, fit Rovin, le pilote, en décollant.

Faure se cramponna de toutes ses forces à son fauteuil. Réaction bien inutile, tous les petits aéronefs de la flotte militaire étaient équipés d’une capsule giratoire qui compensait les effets de tangage,  de roulis et de lacet.

— Moi, j’aimais bien…

— Ça doit être pour ça que tu es seulement copilote. Note bien, ça pourrait être pire : ton degré de popularité pourrait atteindre celui de notre collègue.

— Et il n’a même pas encore chanté…

Et les deux de s’esclaffer. Faure sourit, incapable de s’irriter de leurs railleries.

— Durée de vol estimée : une heure et demie. On filera nord, nord ouest. Pour te situer sur les cartes qui devraient s’afficher sur ta visière, l’ancien lac Kivu se trouvait plein ouest. Et nous allons nous poser derrière les ruines de l’ancienne ville Rubavu.

— Ça fait beaucoup de vestiges.

— Même pas. Kivu est totalement tari depuis maintenant vingt ans. Et il ne reste rien de Butare, pas même des ruines. Le lieu où tu es appelé, puisque je ne sais trop comment le qualifier autrement, se situe à la frontière du Rwanda et de la Zone de Partage Disputée de l’ex RDC.

— Des problèmes auxquels s’attendre de l’autre côté de la frontière ?

— Personne ne t’a briefé ? Tu as vraiment dû les mettre en rogne… fit Rovin encore hilare.

— Pas d’inquiétudes, Faure, dit Bari. La zone porte mal son nom, plus personne n’en veut et personne ne s’y aventure. Il s’agit d’une zone morte de bout en bout, sur laquelle traîne peut-être encore les fantômes des guerres bactériologiques et chimiques. Pas de bombes sales si tu te le demandais. Les rapports ont tous conclu qu’il n’y avait aucun risque sanitaire.

— Nous nous trouvons en plein cœur de l’Afrique, et celui-ci a cessé de battre. Putain de tragédie, ajouta Rovin sans réelle émotion. Ah ! De l’imprévu…

Une alarme retentit dans le cockpit, et le radar de menace de la visière de sphère abandonna son ordinaire configuration 2D pour une sphère à la base de laquelle montait à haute vélocité un point rouge.

— MANPAD, annonça Rovin.

— SATCP, traduisit Bari.

Soit Missile Sol Air à Très Courte Portée. La terreur des pilotes d’aéronefs en phase de décollage et d’atterrissage. Ayant connu peu d’évolution depuis le début du XXIème siècle, ces systèmes de défense aérienne sophistiqués fonçait à près de Mach 3 sur leur cible après l’avoir ferrée à l’infrarouge. L’un de ces missiles avait abattu l’avion transportant les présidents Rwandais et Burundais le six avril 1994, déclenchant le premier génocide. Personne n’avait encore fait la lumière sur l’origine de l’arme et les problèmes inhérents à la manipulation d’un système aussi sophistiqué.

— Trajectoire erratique. Il ne sait pas ce sur quoi se fixer, commenta Bari.

— Tranquillise-toi, Faure, alors que deux autres points rouges quittaient le sol. Nous ne produisons quasiment aucune signature thermique. Pareil pour la signature sonore, pas plus de bruit qu’un bruissement de plumes. Notre micro hibou porte bien son nom.

— Leurres largués, fit tranquillement la copilote. Projectile 1 neutralisé. 2 et 3 également neutralisés. Ordres ?

Rovin se concentra sur les directives qui émanaient de son casque.

— Une seconde… Le Béhémoth vient de se faire supplanter par Rome… Nous engageons, ordonna-t-il en tirant sur le manche.

— Avec Faure derrière nous ? s’étonna Bari.

— Précisément.

La terre devint le ciel. Faure ferma les yeux, tandis que la capsule giratoire rétablissait l’équilibre, permettant au pilote des manœuvres inouïes à haute vitesse.

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