XV – « Protéger le fret et assurer la cession. » – Fragment 2
— Je ne souhaite pas poursuivre cette conversation.
— Et pourtant, vous avez fait la connaissance d’une entité que les Ecritures ne mentionnent pas. Et nous savons tous deux qu’il ne s’agit ni de Dieu ni du Diable. Le niez-vous ?
— Non.
— A la bonne heure. Alors peut-être ne souhaitez-vous plus poursuivre la conversation, mais dites-vous bien que vos mantes n’ont pas de verrou, elles, et que leurs analyses se poursuivent.
— On ne va pas contre sa nature, Andriana. Vous ne pouvez attendre de moi que je rejette tout ce à quoi on m’a formé.
— Vous avez été formé pour être une créature hybride, père capitaine. L’IA vous a hybridé sans que vous vous en rendiez compte. Et la forêt vient d’entamer un nouveau processus de mutation. Chez vous, il n’y a bien que vos habitudes qui appartiennent à l’ancien monde.
Il se retourna vers la forêt et sourit d’un sourire sans joie.
— C’est en vain que je vous prendrai en défaut, Andriana, pas vrai ? Il y a beaucoup de gens comme vous à Madagascar dotés d’un esprit indépendant ?
— Pas plus qu’ailleurs. On doit trouver des gens comme moi, un peu partout dans le monde. Nous appartenons à la race des grands indépendants, c’est tout.
Il hocha la tête, mal à l’aise.
— Symétriades et mimoïdes, dit-il finalement en goûtant les sonorités.
— Faute de mieux.
— Cette forêt dépasse l’entendement.
— Compte-tenu de ce que vous m’avez raconté, vous m’avez l’air de bien vous entendre, elle et vous.
Il éclata de rire.
— Laissez-moi digérer ce que j’ai vu ou cru voir, s’il-vous-plaît. J’ai besoin de traiter des sujets plus terre à terre. Vous ne m’aviez pas dit qu’il s’était passé deux trois bricoles en mon absence ?
— On peut dire ça, en effet. Une partie des communications sont revenues.
— Bordel ! Andriana, fit-il en bondissant sur ses pieds. Vous ne pouviez pas me le dire plus tôt ?
Bien qu’il se fût rué en direction de la tente des systèmes de communication sitôt qu’il avait appris la nouvelle, Faure considérait les différentes machines avec une méfiance croissante. Le grésillement, entrecoupé de quelques paroles indistinctes, signifiait qu’une infime partie des communications avaient été rétablies.
— Je me suis bien gardé de prendre la moindre initiative, dit Andriana à ses côtés, l’air au moins aussi dubitative que lui. Vous voulez passer un message ?
— Oui, si tant est que j’ai Rome. Or, tel n’est pas le cas.
— Comment pouvez-vous en être aussi sûr ?
— Nous communiquons sur un canal chiffré. Le plus haut chiffre que vous pouvez concevoir, garanti par le système de cryptage des mantes.
— Faut-il encore qu’elles soient actives.
— C’est la raison même de ma présence. L’échec n’est pas de mise.
— Donc nous ne savons pas qui est au bout du fil.
— Non. Les micros sont désactivés ?
— Nous sommes hors de leur portée pour l’instant.
Faure considéra l’ensemble des systèmes d’émission, se fit un bref schéma de la connectique de l’ensemble, sortit de sa gaine son grand couteau et trancha l’ensemble.
— Ça devrait résoudre le problème. Si on doit communiquer, ce sera en alphabet morse.
— Faure, c’est un peu radical… s’inquiéta-t-elle.
— J’ai de bonnes raisons de me méfier, fit-il en écoutant attentivement. Toujours la même merde : accuser réception avant ordre. Merde, le système nous trahit, fit-il en tranchant la connectique du casque avant de le jeter à l’intérieur de la tente.
— Pardon ?
— Ils savent que la bande est passante, même si nous n’avons pas fait de réponse.
— Que fait-on ?
— A minima, on peut accuser réception. Envoyez-leur un simple oui en morse, rien de plus.
— Si vous pouviez me rafraîchir la mémoire…
— Oui : tiret, tiret, tiret, espace, point, point, tiret, espace, point, point. Non : tiret, point, espace, tiret, tiret, tiret, espace, tiret, point. Andriana, quand même, c’est la base !
— Ok, c’est envoyé. Ils nous répondent de la même façon. Je vais avoir besoin de vos lumières, ça fait bien trop longtemps que je n’ai pas pratiqué.
Faure lui lança un regard noir et s’absorba dans la lecture du message, de plus en plus incrédule au fur et à mesure qu’il progressait.
— « Protéger le fret et assurer la cession. » prononça-t-il d’une voix blanche. Mais putain, pour qui se prennent-ils ? explosa-t-il enfin.
— Ordre prioritaire ?
— Croyez-vous qu’il existe plus prioritaire qu’une mission romaine ? Non, je ne sais pas qui est derrière, mais il s’agit d’une tentative pour doubler une mission romaine.
— Vous leur répondez quoi ?
— Un non ferme et définitif. Je ne suis pas intendant de l’armée, j’ai été ordonné à Rome et je peux me permettre de les envoyer chier.
— Ils répondent encore, je crois…
— Rien à foutre, dit-il en sortant son pistolet et en tirant deux coups rapides qui pulvérisèrent les systèmes de communication.
— Faure…
— Quoi encore ?
— Nous sommes loin de Rome et de sa protection.
Il voulut lui répondre de ne pas s’en faire, mais le sang battait dangereusement à ses tempes, augurant une migraine colossale. Il se sentit partir, trébucha et essaya de gagner sa tente pour aller s’allonger. Tout s’obscurcit autour de lui et il s’effondra, terrassé par la fièvre.
La lumière vacille. Le fragment suivant commence dans l’ombre.
Le Cercle des Illuminés
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