XI – Les mantes – Fragment 2
Il avait essayé en effet, une fois et une seule, lorsqu’il avait été confronté pour la première fois aux mantes dans le cadre de sa formation. Ses formateurs étaient adeptes d’une méthode en tout point comparable au grill aristotélicien : placer l’aspirant en situation de tension personnelle et observer ses réactions. Faure avait été introduit dans une immense pièce, de la taille d’un stade de football où régnait un froid intense (une variante consistait à produire une chaleur extrême.) Quatre mantes s’y trouvaient déjà et avaient immédiatement fondu sur lui. Pas d’animosité, de la curiosité. Encore fallait-il s’en persuader et ne pas prendre ses jambes à son cou face à ces immenses créatures, ce qui valait à l’aspirant une note éliminatoire. Alors que tout son corps était pelliculé d’une couche de sueur froide et que son cœur battait à tout rompre, il avait adressé une courte prière à la mante de tête. En y réfléchissant, cela revenait à leur ouvrir son âme. La mante s’était immobilisée, imitée aussitôt par les trois autres, et avait agité son étrange tête de gauche à droite. A cet instant, Faure était bien trop affolé pour y prêter vraiment de l’importance et avait seulement songé à la passation de son examen : se connecter à une mante et leur faire réaliser une simulation offensive très simple. Mais, en y repensant, si le système avait fait de même et avait cherché à lui ouvrir sa propre âme, toute artificielle fût-elle ? L’idée générale prévalant à propos des mantes, même parmi ses formateurs, voulait qu’elles fussent des systèmes sophistiqués, complexes, mais pas très futés. On ne discutait pas avec un chien d’attaque, on pourvoyait à ses besoins. Or les mantes n’avaient aucun besoin, et les contacts hors transmission de données étaient inexistants. Que fait un organisme intelligent s’il tente de nouer le dialogue et n’obtient pas satisfaction ? Il cesse et ne recommence pas.
— Vous avez essayé, c’est ça ? redemanda Adriana.
— Pas exactement. Je me rends compte surtout que je n’ai jamais essayé de les écouter. Dans la situation où nous nous trouvons, c’est peut-être n’importe quoi, mais ça vaut le coup d’essayer.
Il se repatcha à la première femelle.
— Vous allez faire comment ?
— Pas en lui parlant, si c’est ce que vous pensez. Pas de crise d’autorité non plus, ça me paraît idiot. Je vais m’ouvrir à elle, en essayant de transmettre le maximum d’émotions, et je vais attendre la réponse, si réponse il y a.
A nouveau ce bruit de ressacs multiples au rythme changeant. Sans trop savoir ce qu’il devait faire, et sans doute au mépris de plusieurs lois, il présenta ses excuses pour le rendez-vous manqué, demanda une nouvelle audience et tâcha de s’ouvrir, convoquant une myriade de souvenirs et de remémorations en guise de bonne foi. Et quelque chose s’approcha pour écouter. Et au moment où il tendait l’oreille, une voix résonna dans son esprit, grave et musicale, la même que celle qui avait résonné dans le Gufo après la frappe de l’Ange de Dieu.
Je méditais sur ma demeure.
La lumière vacille. Le fragment suivant commence dans l’ombre.
Le Cercle des Illuminés
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