Cela faisait maintenant un long moment que Faure s’était branché sur l’une des mantes, se laissant entièrement absorber par le retour si semblable à un bruit de ressac multiplié. Les procédures d’analyse et de diagnostic n’avaient plus grand-chose à voir avec les systèmes informatiques classiques, pourtant encore largement employés dans la TCE. Les IA cybernétiques se distinguaient par leur sensibilité au monde extérieur dont nul ne mesurait exactement le degré. Etablir un contact avec ces organismes s’apparentait donc à un dialogue, ou dans le cas présent à une écoute soutenue des signaux émis. Et en l’état, le constat s’avérait d’une simplicité absolue : les mantes étaient occupées et n’avaient pas le moindre instant à lui consacrer. Situation inédite devant laquelle il ne pouvait qu’avouer son impuissance. Cela faisait beaucoup en peu de temps.

— Alors ? demanda derrière lui Andriana.

Faure soupira longuement en retirant les capteurs de sa poitrine et des tempes, ainsi que ceux qu’il avait patchés sur la mante.

— Elles sont en parfait état. Elles sont certes inertes, mais elles fonctionnent. Elles ont activé une sous-routine d’observation.

— Mais cela fait des mois !

— Le traitement des données doit être colossal. Au regard de leurs capacités, je n’arrive même pas à imaginer la quantité qu’elles doivent gérer. Et elles travaillent en réseau…

Il observa pensivement les six mantes disposées en un rectangle presque parfait, les deux plus imposantes devant, les quatre plus petites derrière. Deux « femelles », quatre « mâles », pour reprendre le dysmorphisme sexuel de l’espèce. En l’état, elles avaient perdu leur forme caractéristique. Un anneau de protection couvrait la « tête » et les téguments de déplacement avaient été repliés, leur donnant l’apparence de gigantesques centipèdes  recroquevillés sur eux-mêmes.

— Vous ne pouvez pas intervenir ?

— Non, je n’arrive pas à entrer en contact avec elles. (Faure se sentit obligé de préciser.) Les mantes ne sont pas des machines. Il n’y a pas d’interrupteur, vous ne pouvez ni les débrancher ni les rebooter. Avant que j’intervienne, je dois entrer en contact avec elles. Et pour ce faire, je dois me faire reconnaître. Et cela va bien au delà de la reconnaissance ADN. Ce n’est pas très facile à expliquer. Je vais prendre une métaphore animale, ça marchera mieux. Vous avez déjà été en contact avec des chevaux ? Lorsque vous les approchez, ils sentent votre haleine. De notre point de vue, nous n’apprenons aucune information sur eux. Mais du leur, ils ont appris tout ce qu’ils avaient à savoir sur nous. La métaphore s’arrête là, mais ça vous donnera une bonne indication quant à la complexité des rapports entre les hommes et les mantes.

— OK. Mais quel est le problème alors ? Pour reprendre votre métaphore, le cheval vous méconnaît ?

— Non. Pour reprendre ma métaphore, le cheval ne cherche pas à me reconnaître, car il se trouve à l’autre bout du continent en train de rêver.

— Merde.

— Comme vous dîtes.

— Il n’y a vraiment rien que vous puissiez faire.

— Honnêtement, je ne vois pas quoi. Nous ne sommes pas maîtres des mantes, il faut les voir plutôt comme des collaboratrices zélées.

Elle réfléchit un moment.

— Ecoutez, reprit-elle. Je sais que je ne connais rien à ces systèmes, alors, pardonnez ma naïveté… Vous êtes extrêmement peu à intervenir sur les mantes et, en tant que tel, vous devez donc avoir une forme de relations privilégiées avec elles.

— C’est exact, mais je ne vois pas trop où voulez en venir.

— Vos collaboratrices ne vous laisseraient pas tomber si vous leur demandiez assistance.

— Cela se tient, mais il y deux problèmes majeurs. Le premier, elles ne m’entendent pas. Le second, nous ne conversons pas avec les mantes, nous leur fournissons des données à traiter.

— Ne me dîtes pas que vous n’avez jamais essayé.

La lumière vacille. Le fragment suivant commence dans l’ombre.

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