IV – Survol de l’enfer selon Bosch – Fragment 2
Faure ne lui fit pas remarquer qu’il confondait le roman de Conrad et le film des temps sombres qui s’en était inspiré. Il écouta le reste de la tirade de Jouvet d’une oreille distraite. Chaque champ d’opération était porteur d’anecdotes semblables. On finissait par se blinder contre le luxe d’exactions perpétrées par le genre humain.
— Mon film de guerre préféré, c’est La Ligne Rouge, même si je ne suis pas très rousseauiste.
— Hm… franchement édulcoré par rapport au roman originel, si tu veux mon avis.
— Je ne veux pas de ton avis, c’est mon film préféré et je ne supporte pas qu’on en dise du mal. Histoire d’argumenter, je dirai simplement qu’il n’est pas du tout édulcoré, mais qu’il s’agit d’un parti pris d’adaptation… Bon, tu peux me dire ce qu’on fout dans ce pays ?
— Je me suis déjà exprimé sur le sujet.
— Cela n’explique pas tout. Il n’y a pas une seule chose qui puisse nous intéresser depuis que nous n’avons plus besoin de minerais et d’énergies fossiles.
— « Les desseins de Sa Sainteté sont impénétrables. » C’est de toi, non ?
Une légère secousse leur apprit que le Cestino venait de se poser. Alors que tous se levaient pour se préparer à débarquer, une annonce retentit.
— Mesdames et Messieurs, c’est votre pilote qui vous parle. Je vous annonce que nous allons devoir patienter pour régulation jusqu’au petit matin. La tour de contrôle m’annonce une forte probabilité de présence de mines bondissantes sur le tarmac, heureuse gratification des populations autochtones. Nous avons déjà disposé les champs de force pour votre plus grand confort et vous suggérons de casser une petite graine, si tant est que vous ayez emmené votre panier repas, le service à bord n’étant pas assuré. Merci de votre compréhension et bienvenue au Rwanda.
Un chœur de protestations accueillit l’annonce, puis les soldats se rassirent, résignés, et s’apprêtèrent à se faire à manger, sortant leur réchaud à induction.
— Jouvet, dis-moi que tu as pensé à ramener des rations.
— Si tu aimes manger lyophilisé…
— Pas moyen, j’ai envie de faire un dernier repas correct. Je vois que la nana des forces spéciales a une conserve de pasta à la saucisse épicée, et j’aime bien la ‘nduja.
— La réquisition risque de mal passer.
— J’ai un peu d’éducation, je pensais la lui acheter. Si tu voulais faire la liaison, ajouta Faure en lui tendant une pièce de cinq francs romains. Et si tu pouvais t’assurer qu’elle ne crache pas dedans, je t’en saurai infiniment gré…
La lumière vacille. Le fragment suivant commence dans l’ombre.
Le Cercle des Illuminés
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