IV – Survol de l’enfer selon Bosch – Fragment 1
Le couvert s’estompa d’un coup, tandis que le gros porteur traversait la couche nuageuse, dégageant une vue de Butare sur des kilomètres aux alentours. Avant même de se poser et de se faire une impression, Faure détesta la ville et le pays par extension. Les faubourgs n’étaient que des puits de ténèbres éclairés sporadiquement par un éclairage public défaillant et par des incendies que nul ne donnait l’impression de vouloir combattre. Ça et là, de brefs points lumineux traversaient une rue, dans lesquels le père capitaine reconnut des balles traçantes de mitrailleuse lourde. Des combats asymétriques se jouaient d’un quartier à l’autre, et des explosions faisaient naître de nouveaux brasiers qui ne tarderaient pas à s’étendre en feux incontrôlables dans les bidonvilles avoisinants. Quelques appareils légers de reconnaissance, probablement des Gufos, patrouillaient à basse altitude pour faire respecter un périmètre autour de l’aéroport et du Béhémoth, le quartier général mobile de l’opération Hyperborée aux allures de blindé monstrueux, mais eux-mêmes étaient la cible de tirs de roquettes que les pilotes neutralisaient en larguant des leurres thermiques avant de remiser en tirant une nuée de munitions à fléchettes sur les points d’attaque identifiés.
Une synesthésie étrange saisit Faure, lui laissant un goût acide dans la bouche, alors qu’une musique aigrelette se rappelait à son souvenir. Il lui fallut mûre réflexion pour reconnaître la partition cachée sur un pécheur du tableau Le Jardin des Délices du peintre primitif flamand Jérôme Bosch qu’il avait eu l’occasion d’admirer au musée du Vatican, lorsqu’il était encore séminariste. A l’instar des diableries chères au maître, rien de ce pandémonium n’avait vraiment l’air sérieux. Butare se présentait aux yeux du militaire expérimenté comme un carnaval sanglant, presque aussi inquiétant que drôle.
— Tu ne seras même pas Willard, Faure. Nous sommes déjà au cœur des ténèbres. Ailleurs… c’est juste un peu plus sauvage. Nous trouvons tous les jours des têtes plantées sur des piquets, des charretées de mains coupées, des femmes enceintes éventrées à la baïonnette. Dans la dernière école où nous sommes entrés, le tableau noir était criblé d’impacts et les gamins avaient été débités à la hache. C’est une liste sans fin d’atrocités. Nous ne maîtrisons rien, pas même la capitale, nous les empêchons uniquement d’approcher de notre base. La seule chose dont nous pouvons nous réjouir, par la grâce de Dieu, c’est que nous ne sommes pas confrontés à des attentats suicides.
La lumière vacille. Le fragment suivant commence dans l’ombre.
Le Cercle des Illuminés
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